À l’aéroport de Paris Roissy Charles de Gaulle, considéré comme l’un des plus fréquentés d’Europe, certains travailleurs de l’ombre, y compris des Algériens, vivent un quotidien qui rime avec désillusion. Ce sont des chauffeurs de taxi, pour beaucoup originaires d’Algérie, installés depuis des années en région parisienne. Si pour les voyageurs, Roissy incarne le départ, le retour ou la découverte, pour ces professionnels, il devient un symbole d’attente interminable, de pertes financières et d’une profonde frustration. À travers des témoignages confiés à DNAlgérie, ces taxieurs algériens lèvent le voile sur une réalité difficilement perceptible depuis les halls climatisés du terminal 2E de l’aéroport de Paris Roissy.
Un chauffeur raconte avec lassitude son expérience récente. Ce jour-là, il dépose un client à 8h40. Espérant rapidement récupérer une nouvelle course depuis la zone d’attente dédiée aux taxis, il patiente, observe, attend… mais l’attente s’éternise. Ce n’est qu’au bout de quatre longues heures qu’il obtient enfin une course, direction Paris. Montant de la course : 56 euros. À première vue, cela peut paraître correct, mais le calcul est vite fait. Les heures passées moteur à l’arrêt, la consommation de carburant lors des déplacements internes à l’aéroport, l’usure du véhicule, et surtout le manque à gagner sur les courses potentielles perdues ailleurs rendent l’opération globalement non rentable. Ce chauffeur, comme d’autres, s’en rend compte amèrement : « C’est tout sauf bénéfique. » Ce n’est plus une simple déconvenue, mais une prise de conscience brutale.
Derrière cette déclaration se cache une forme de ras-le-bol. Le sentiment que les efforts déployés ne sont pas récompensés, que le temps investi se dissout dans le néant de l’attente. Un autre chauffeur, tout aussi éreinté par la situation, n’hésite pas à dire : « Je regrette d’avoir mis les pieds à Roissy. Dorénavant, si j’y dépose quelqu’un, je ressors directement. » Une décision qui tranche avec les habitudes du métier, où chaque arrêt à l’aéroport peut représenter une opportunité. Mais aujourd’hui, cette opportunité semble avoir perdu tout son sens pour ces conducteurs. Ils ne sont plus dans une logique d’optimisation, mais dans une tentative de survie économique.
La réalité qu’ils décrivent est celle d’une concurrence féroce, où les taxis traditionnels doivent composer avec un afflux massif de chauffeurs, des règles strictes, un système de répartition des courses jugé opaque, et une part d’incertitude qui plane constamment sur leur activité. Roissy est devenu un carrefour saturé, où chaque chauffeur espère décrocher la bonne course, mais où beaucoup repartent bredouilles ou avec un maigre gain, loin des promesses espérées. Pour les plus anciens du métier, cette évolution est d’autant plus difficile à accepter qu’elle s’inscrit dans une transformation globale du secteur du transport de personnes.
Le cri du cœur exprimé par ces chauffeurs algériens dépasse le simple cadre de l’aéroport de Paris Roissy. Il reflète une lassitude grandissante dans un contexte où les marges se réduisent, les contraintes augmentent, et la reconnaissance se fait rare. Ce sont des hommes souvent installés depuis des années, qui ont connu d’autres temps, et qui aujourd’hui peinent à s’adapter à une réalité qu’ils jugent de plus en plus injuste. Leurs mots, simples mais chargés de sens, traduisent une volonté de ne plus subir. En refusant d’attendre à Roissy, ils ne tournent pas le dos à leur profession, mais cherchent à en préserver l’essence : la liberté de choisir, de bouger, de gagner leur vie dignement.
Dans cette démarche, il ne s’agit pas d’un boycott, ni d’un geste de colère, mais d’un acte pragmatique. Ces chauffeurs, majoritairement indépendants, doivent veiller à chaque détail pour maintenir l’équilibre fragile de leur activité. Roissy, avec ses longues files d’attente et ses promesses rarement tenues, ne correspond plus à leur réalité. C’est pourquoi certains préfèrent désormais déposer leurs clients, puis reprendre aussitôt la route, vers d’autres lieux, d’autres opportunités, là où le temps ne sera pas perdu inutilement.
Les récits de ces Algériens résonnent comme un appel à la compréhension et à l’écoute. Ce sont des fragments de vie, d’efforts quotidiens, de choix stratégiques dictés par la nécessité. Et s’ils lancent aujourd’hui un cri du cœur, ce n’est pas pour se plaindre, mais pour alerter. Pour dire que derrière les façades vitrées de l’un des plus grands aéroports du monde, il y a aussi des hommes qui attendent, qui espèrent, et parfois, qui renoncent.