Ce n’était qu’une simple opération de contrôle parmi tant d’autres à Roissy-Charles-de-Gaulle. Pourtant, ce jour du 18 août 2024 allait marquer un tournant inattendu pour les autorités françaises. Deux voyageurs algériens, en provenance d’Alger et en transit vers Istanbul, attirent l’attention des douaniers. Une fouille méthodique de leurs bagages révèle une somme colossale : près de trois millions d’euros en liquide et un lingotin d’or de 82 grammes. Très vite, l’affaire prend une dimension hors norme, dévoilant un réseau international de blanchiment d’argent aux ramifications complexes entre Alger, Paris et Istanbul. Un autre Algérien, ayant participé à cette opération à l’aéroport de Paris Roissy, a été récemment écroué.
Âgés de 33 et 40 ans, les deux individus sont immédiatement placés en garde à vue par l’Office national antifraude aux finances publiques (Onaf). Interrogés, ils avancent d’abord l’explication d’un voyage commercial en Turquie, censé aboutir à l’achat de marchandises. Mais les enquêteurs, rompus à ces justifications classiques, flairent rapidement une opération de plus grande ampleur.
La suite de l’enquête confirme leurs soupçons. Les autorités algériennes, sollicitées pour vérifier l’itinéraire des bagages, indiquent que ceux-ci étaient vides lors de leur embarquement à Alger. L’argent n’a donc pas traversé la Méditerranée en avion. Les images de vidéosurveillance de Roissy révèlent une manœuvre soigneusement orchestrée : à peine arrivés, les deux voyageurs se rendent dans les toilettes publiques, vides au départ, mais en ressortent quelques minutes plus tard, lestés d’un sac à dos rempli de billets.
En remontant la piste, les enquêteurs identifient rapidement l’homme ayant déposé l’argent : Houssen B., repéré grâce aux enregistrements vidéos, à la téléphonie et aux plaques d’immatriculation de sa voiture. Interpellé en mars 2025, Houssen B. finit par passer aux aveux. Il confesse avoir participé à au moins trente remises d’argent similaires entre février et août 2024, suivant un mode opératoire quasi-militaire, toujours au sein de la zone de transit aéroportuaire.
À travers cette découverte, c’est l’ampleur d’un vaste réseau international de blanchiment qui éclate au grand jour. En six mois seulement, plus de 60 millions d’euros auraient ainsi été transférés discrètement, loin des circuits financiers officiels. Chaque porteur de valise, comme les deux Algériens arrêtés, recevait entre 700 et 1 000 euros pour un voyage, une rémunération modeste au regard des sommes transportées, mais suffisante pour alimenter un flux continu d’opérateurs anonymes.
Lors de nouvelles auditions, les deux voyageurs arrêtés à Roissy finissent par reconnaître leur participation active. Ils admettent avoir réceptionné l’argent sur place, et non en Algérie comme ils l’avaient initialement prétendu. L’un d’eux a été libéré sous contrôle judiciaire, tandis que l’autre reste détenu, sa demande de libération ayant été rejetée par la Cour d’instruction de Paris. Quant à Houssen B., considéré comme une pièce maîtresse du réseau, il a été inculpé en mars à Bobigny et placé sous contrôle judiciaire.
Surnommé par des médias français « le Pablo Escobar algérien », en référence à la méthode archaïque mais efficace du célèbre narcotrafiquant colombien, Houssem B démontre une habileté remarquable à contourner les dispositifs de contrôle modernes. En misant sur des remises physiques en milieu sécurisé, à l’intérieur même des aéroports, les organisateurs échappaient au radar des banques et des autorités de transferts électroniques.
L’affaire ne s’arrête pas à ces premières arrestations. Pour les enquêteurs, il s’agit désormais de remonter toute la chaîne de commandement. Qui sont les commanditaires ? Où allait précisément cet argent ? Était-il destiné à financer des activités illicites, ou s’agissait-il de capitaux issus d’une économie parallèle organisée entre l’Algérie, la France et la Turquie ? Les investigations en cours cherchent aussi à établir des liens avec d’autres réseaux soupçonnés de transits illicites sur le même axe.
Ce dossier intervient dans un contexte où la lutte contre le blanchiment d’argent figure parmi les priorités renforcées des autorités françaises. La multiplication des circuits alternatifs, l’usage intensif d’argent liquide et les nouveaux modes opératoires imposent aux enquêteurs de développer des méthodes d’investigation toujours plus fines, mêlant surveillance physique, analyse des flux financiers et exploitation intensive de la vidéosurveillance.
La spectaculaire saisie opérée à Roissy rappelle que les réseaux criminels adaptent constamment leurs stratégies pour tirer parti des failles, y compris dans des lieux ultra-sécurisés comme les aéroports internationaux. Elle souligne également que derrière l’apparente banalité d’un vol commercial se dissimulent parfois des opérations financières souterraines d’une ampleur vertigineuse.
Pour l’heure, l’enquête se poursuit dans la plus grande discrétion. Mais une chose est certaine : l’affaire du « Pablo Escobar » algérien marque un précédent et donne un nouvel aperçu des enjeux colossaux de la lutte contre le blanchiment d’argent à l’aéroport de Paris Roissy.