Algérie : l’Espagne prend une décision forte qui risque de déplaire au Maroc

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L’histoire récente entre l’Algérie, l’Espagne et le Maroc montre à quel point la géopolitique peut influencer les trajectoires économiques. L’Algérie, suite au soutien de l’Espagne envers la position marocaine sur le Sahara occidental, avait imposé en juin 2022 des sanctions économiques lourdes à Madrid, modifiant ainsi profondément l’équilibre des échanges commerciaux bilatéraux. Mais après plus de deux années de gel diplomatique, l’Espagne semble avoir mesuré l’impact de ses choix sur ses propres intérêts, notamment dans un secteur stratégique : celui de la céramique. Aujourd’hui, l’Algérie et l’Espagne renouent, non pas sur de simples bases commerciales, mais autour d’une coopération industrielle où l’Algérie impose désormais ses règles. Ce tournant illustre la manière dont l’Algérie, l’Espagne et le Maroc interagissent dans un triangle géopolitique et économique aux conséquences concrètes.

Ce réalignement s’est notamment matérialisé par l’annonce d’une visite prochaine d’une délégation espagnole de haut niveau en Algérie, précisément dans les unités de production de Batna et de Sétif, prévues entre le 25 et le 29 mai. Cette mission, organisée par l’Association des fabricants espagnols d’équipements pour la céramique (ASEBEC), avec l’appui de l’agence espagnole de développement du commerce extérieur (ICEX), marque une étape cruciale dans le repositionnement de l’Espagne en Algérie. Il ne s’agit plus simplement pour l’Espagne de vendre des produits à l’Algérie, mais de s’inscrire dans la dynamique de transformation industrielle que l’Algérie développe, notamment dans la céramique.

La nouvelle stratégie espagnole repose sur un modèle plus technique et institutionnel. En effet, la délégation ne se contentera pas de présenter des offres commerciales, mais organisera des rencontres directes avec les directeurs de production algériens et des visites de sites industriels. Un expert de l’Institut technologique espagnol de la céramique (ITC) accompagnera la mission, apportant un soutien technique renforcé et ciblé. L’objectif est clair : répondre aux besoins spécifiques du tissu industriel algérien, particulièrement exigeant en matière d’équipements de haute technologie.

Le choix des villes de Sétif et de Batna n’est pas anodin. Ces régions représentent le cœur de l’industrie céramique algérienne, un secteur en pleine expansion. L’Algérie compte aujourd’hui une quarantaine d’entreprises actives dans ce domaine, pour une capacité de production atteignant les 200 millions de mètres carrés par an. Ce dynamisme place l’Algérie au rang de deuxième producteur de céramique en Afrique, juste derrière l’Égypte. Un marché aussi vaste ne peut qu’attirer l’attention de l’Espagne, qui a perdu beaucoup durant les années de tensions, pendant lesquelles la Chine a pris l’ascendant. En effet, selon les chiffres de l’ICEX, les exportations chinoises d’équipements vers l’Algérie sont passées de 11 millions d’euros en 2021 à 54 millions en 2024, captant 36 % du marché local.

L’Espagne, pour regagner sa place, devra faire preuve d’innovation et d’adaptation. Car l’Algérie, tout en étant riche en matières premières telles que l’argile rouge ou le kaolin, dépend encore des importations pour certaines composantes techniques. C’est le cas des frittes, des matériaux spécifiques utilisés dans la fabrication de revêtements céramiques. Ces produits, issus de la fusion d’oxydes puis rapidement refroidis, sont essentiels pour donner aux carreaux leur finition brillante ou mate, tout en améliorant leur résistance. L’Espagne, grâce à son savoir-faire, peut redevenir un acteur central si elle respecte les priorités de l’Algérie.

Ce renouveau des relations économiques entre l’Algérie et l’Espagne s’inscrit également dans un contexte de relance intérieure. Le vaste programme de logements « AADL 3 », porté par le gouvernement algérien, stimule la demande nationale de matériaux de construction, avec un mot d’ordre clair du ministre de l’Habitat Tarek Belaribi : utiliser uniquement des matériaux 100 % algériens. Dans cette logique, toute coopération avec l’Espagne devra passer par le transfert de technologie, le renforcement des capacités locales et l’intégration dans les chaînes de production existantes en Algérie.