Les relations commerciales entre l’Algérie et les États-Unis viennent de connaître un sérieux coup de froid. En cause : la décision des autorités américaines d’imposer une taxe antidumping immédiate de 127 % sur le fer à béton algérien, un produit stratégique des exportations hors hydrocarbures du pays. Cette mesure, annoncée par le Département du Commerce des États-Unis à l’issue d’une enquête préliminaire, repose sur des accusations de pratiques commerciales jugées déloyales, notamment la vente du produit à un prix inférieur à sa « juste valeur » sur le marché américain.
Cette décision, bien que provisoire, marque l’ouverture d’un nouveau front commercial aux conséquences potentiellement lourdes pour la sidérurgie algérienne. Le fer à béton, utilisé massivement dans le secteur de la construction, fait partie des rares produits industriels algériens ayant réussi à s’imposer sur des marchés internationaux exigeants, notamment aux États-Unis.
À l’origine de cette mesure, une plainte déposée en juin dernier par plusieurs acteurs de l’industrie sidérurgique américaine, regroupés au sein de la Rebar Trade Action Coalition (RTAC). Cette coalition accuse l’Algérie, mais aussi la Bulgarie, l’Égypte et le Vietnam, de pratiquer le dumping et de bénéficier de subventions étatiques jugées contraires aux règles du commerce international.
Selon les plaignants, les importations de fer à béton en provenance de ces pays auraient causé un préjudice significatif aux producteurs américains, en exerçant une pression à la baisse sur les prix et en menaçant l’emploi local. Le Département du Commerce a donc estimé, à titre préliminaire, que le fer à béton algérien était effectivement vendu à des prix anormalement bas, justifiant ainsi l’application immédiate de droits antidumping de 127 %.
Les produits concernés couvrent un large éventail : barres d’armature en acier de toutes tailles et compositions, mais aussi les produits transformés, qu’ils soient découpés, moulés, galvanisés, peints ou revêtus, même lorsque ces transformations ont lieu dans un pays tiers.
Il est important de souligner que cette taxe n’est pas encore définitive. Le Département du Commerce doit rendre sa décision finale dans un délai d’environ 75 jours. D’autres étapes sont également prévues : les décisions préliminaires concernant les droits compensateurs visant l’Algérie, l’Égypte et le Vietnam sont attendues en janvier 2026, tandis que les conclusions finales des enquêtes antidumping pour certains pays devraient intervenir en mars 2026.
Du côté américain, cette décision est saluée par les industriels. Peter Matt, PDG du groupe Commercial Metals (CMC), l’un des acteurs majeurs du secteur sidérurgique aux États-Unis, a remercié les autorités pour leur « défense du commerce équitable », affirmant que ces mesures protègent les aciéries nationales ainsi que les travailleurs face à des pratiques qu’il qualifie de « perturbatrices et déloyales ».
Pour l’Algérie, le marché américain représente un débouché important, même s’il montrait déjà des signes d’essoufflement. En 2023, les exportations algériennes d’acier vers les États-Unis avaient atteint un pic de 485 000 tonnes. En 2024, ce volume est tombé à environ 100 000 tonnes, illustrant un net recul avant même l’annonce de cette taxe.
Le fer à béton constitue l’un des piliers de la stratégie algérienne de diversification économique. Des groupes comme Tosyali et Algerian Qatari Steel (AQS) ont investi massivement pour développer une production compétitive et orientée vers l’export. L’instauration d’une taxe aussi élevée risque toutefois de rendre le produit algérien quasiment non compétitif sur le marché américain, entraînant une perte de parts de marché difficile à compenser à court terme.
Malgré ce coup dur, le marché américain n’est pas l’unique destination du fer à béton algérien. L’Afrique, le Moyen-Orient et certains marchés européens restent des alternatives potentielles, même si la concurrence y est également rude. Cette situation pourrait pousser les producteurs algériens à accélérer leur diversification géographique et à renforcer leur présence sur des marchés régionaux.
En attendant la décision finale des autorités américaines, le secteur sidérurgique algérien retient son souffle. L’issue de cette enquête pourrait non seulement redessiner les relations commerciales avec les États-Unis, mais aussi servir de test majeur pour la stratégie algérienne de sortie progressive de la dépendance aux hydrocarbures.