L’affaire de Ghiles S., un Algérien de 29 ans décédé tragiquement à la Foire du Trône en mai 2022, a trouvé son épilogue judiciaire trois ans plus tard, laissant un goût amer d’injustice pour beaucoup. Ce jeune travailleur algérien, sans papiers et employé au noir, avait perdu la vie après avoir été percuté par un manège en pleine nuit. Le drame survenu à la Foire du Trône, lieu de fête et de divertissement parisien, s’est transformé en symbole de la précarité et du manque de protection dont souffrent certains travailleurs étrangers en situation irrégulière.
Dans la nuit du 6 au 7 mai 2022, la Foire du Trône accueillait encore ses derniers visiteurs lorsque le destin de Ghiles S. s’est brisé. Alors qu’il travaillait sur le manège « Crazy Mouse », ce jeune Algérien a été frappé de plein fouet par une nacelle métallique de six tonnes. Selon les premiers éléments de l’enquête, la victime aurait tenté de ramasser une casquette tombée à proximité de la machine encore en fonctionnement. L’impact a été fatal, le choc d’une violence inouïe ayant causé sa mort sur le coup. Le corps de l’Algérien a été retrouvé gravement mutilé, une scène qui a profondément marqué les témoins et les forains présents cette nuit-là à la Foire du Trône.
L’enquête a rapidement révélé les conditions de travail déplorables dans lesquelles évoluait Ghiles S. Sans papiers et embauché illégalement, il travaillait de longues heures, de 6 h 30 du matin jusqu’à plus de 22 h 30, pour une rémunération d’à peine 50 euros par jour. Le jeune Algérien, fraîchement arrivé en France, espérait trouver une stabilité et un avenir meilleur, mais son emploi précaire à la Foire du Trône s’est transformé en cauchemar. Les enquêteurs ont mis en lumière un ensemble d’irrégularités : absence de contrat, non-déclaration de l’employé, absence de formation à la sécurité et manquements graves aux normes du travail.
Le drame n’était pourtant pas isolé. L’affaire a révélé qu’un accident similaire s’était déjà produit sur le même manège dix ans auparavant. En novembre 2012, un autre travailleur, cette fois d’origine roumaine, avait lui aussi été mortellement percuté par le « Crazy Mouse » dans des circonstances comparables, alors qu’il tentait de récupérer un téléphone portable tombé. Cette information, pourtant capitale, n’a jamais été évoquée lors du procès des employeurs de Ghiles S., le tribunal et le parquet en ignorant totalement l’existence.
Ce manque d’information a eu des conséquences déterminantes sur la qualification des faits. Le lien de causalité entre la gestion du manège et la mort du jeune Algérien a été jugé trop incertain pour retenir la charge d’homicide involontaire. En conséquence, les trois employeurs de la Foire du Trône ont échappé à cette accusation grave. Ils n’ont finalement été poursuivis que pour travail dissimulé, défaut de formation du salarié et emploi d’un étranger sans titre de séjour. Le principal gérant, Fabrice D., était d’ailleurs absent à l’audience, jugé par contumace, tandis que sa compagne Annick M. et leur fils Arnaud D. comparaissaient devant la justice.
Au cours de l’audience, la procureure a rappelé que les employeurs avaient déclaré six salariés au lendemain de l’accident, quelques heures après la mort de l’Algérien, une coïncidence que la défense a tenté de minimiser. Les prévenus ont nié toute responsabilité directe dans la mort de Ghiles S., allant jusqu’à affirmer qu’ils ignoraient jusqu’à son identité. Le jeune Algérien n’a pu être formellement identifié que grâce à son pass Navigo et à une analyse ADN.
Le verdict, tombé fin septembre 2025, a été perçu comme d’une grande clémence. Les trois employeurs de la Foire du Trône ont écopé chacun de quatre mois de prison avec sursis et de 4 000 euros d’amende. Leur société a, quant à elle, été condamnée à verser 7 000 euros d’amende en tant que personne morale. Le tribunal a ainsi clos le dossier sans retenir la qualification d’homicide involontaire, estimant que les preuves étaient insuffisantes pour établir un lien direct entre la gestion du manège et le décès.
Ce jugement a suscité de nombreuses réactions, notamment parmi les associations de défense des travailleurs étrangers et les organisations de soutien aux sans-papiers, qui dénoncent un système où la vie d’un Algérien employé dans l’ombre de la Foire du Trône ne vaut qu’une simple amende. Pour la famille de la victime, restée en Algérie, le sentiment d’injustice demeure immense. Trois ans après le drame, la disparition de Ghiles S. illustre la fragilité de ces travailleurs invisibles, indispensables mais souvent laissés sans protection, même au cœur d’un lieu aussi emblématique que la Foire du Trône.