Dans les couloirs feutrés de la préfecture des Hauts-de-Seine, à Nanterre, une procédure inattendue a fait son apparition depuis février dernier, plongeant de nombreux demandeurs de régularisation, notamment les Algériens établis en France, dans une forme d’épreuve digne d’un contrôle de fin d’année. Ce qu’ils croyaient être un simple dépôt de dossier pour une admission exceptionnelle au séjour (AES) s’est transformé en une scène déconcertante, marquée par une série de questions posées hors de tout cadre juridique officiel.
À l’origine de cette pratique, une fiche officielle, estampillée du sceau de la préfecture, sur laquelle sont listées des questions de culture générale. « Quelle est la devise de la République ? », « Quel est le fleuve qui traverse Paris ? », « Quelle est la date de la fête nationale ? » : autant d’interrogations auxquelles les sans-papiers doivent répondre à l’écrit, en indiquant s’ils ont bénéficié d’une aide ou non, avant de signer le document. Selon plusieurs avocats, les agents refusent systématiquement de transmettre cette fiche aux conseils des personnes concernées, préférant maintenir une opacité totale sur le contenu exact de ce test improvisé.
Le ton est donné dès l’entrée dans le bureau : « Vous savez lire ? », lance un agent à une personne venue soumettre son dossier. L’entretien se déroule ensuite à huis clos, sans la présence de l’avocat, invité à patienter à l’extérieur. Pour Inès*, élève-avocate, cette méthode est aussi inattendue qu’incompréhensible. Elle relève même des formulations volontairement troublantes : deux questions se suivent sur l’assistance reçue pour remplir le questionnaire, l’une avec la mention « sans aide », l’autre « avec aide », obligeant les personnes à entourer deux fois « OUI » ou « NON ». Une ambiguïté qui pourrait confondre plus d’un candidat mal à l’aise avec la langue française.
Les Algériens de France confrontés à cette nouveauté en préfecture : témoignages
Selon les témoignages recueillis par Mediapart, certains demandeurs s’insurgent sur place. L’un d’eux, présent en France depuis quatre ans, s’exclame qu’il connaît parfaitement le nom du président de la République. Un autre reste sans voix, déstabilisé par l’absence d’un avocat censé l’accompagner dans cette étape décisive. Nadia*, juriste dans un cabinet parisien, raconte avoir été sommée de quitter la pièce pendant l’entretien de son client. En insistant pour rester, elle s’est heurtée à un refus catégorique des agents, qui semblaient vouloir mener l’interrogatoire en toute autonomie.
Plusieurs juristes pointent également le caractère discriminatoire de certaines questions posées aux femmes, jugées sexistes, voire intrusives. Une femme sans-papiers, réticente face à ces interrogations, s’est vue rassurée par Inès : elle n’était pas légalement obligée d’y répondre. Nadia va plus loin : elle affirme qu’un tel traitement n’aurait pas été réservé à une personne ukrainienne. Une insinuation troublante qui soulève la question d’un traitement différencié en fonction de l’origine ou de la religion supposée des demandeurs.
Du côté de la préfecture, on assume pleinement cette démarche. Le cabinet de la préfecture des Hauts-de-Seine justifie cette rigueur par la nécessité de vérifier la maîtrise de la langue française et l’intégration des personnes en demande de régularisation, dont les Algériens basés de manière irrégulière en France, en se référant à la circulaire Retailleau. Celle-ci insiste sur le caractère « exceptionnel » de la procédure AES et invite les préfets à adopter une approche particulièrement sélective.
Mais pour les juristes et les associations, ces pratiques dépassent largement ce que la loi prévoit. Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) n’évoque nulle part un tel test. La circulaire elle-même se limite à des notions d’intégration, sans jamais mentionner la mise en place d’un examen improvisé. Me Patrick Berdugo, président de l’Association pour la défense des droits des étrangers (ADDE), confirme que de tels agissements ont été signalés, et il y voit un glissement préoccupant vers une logique d’écrémage des dossiers.
L’inquiétude grandit d’autant plus que le refus de répondre aux questions entraîne systématiquement le refus du récépissé, document provisoire qui permet pourtant à la personne de rester légalement sur le territoire durant l’étude de sa demande. Une stratégie qui, selon Nadia, met une pression supplémentaire sur les plus vulnérables, souvent isolés et peu informés de leurs droits.
À ce jour, cette méthode semble circonscrite à la seule préfecture de Nanterre. Aucune autre préfecture d’Île-de-France ne l’aurait adoptée, ce qui renforce le caractère inédit – voire expérimental – de la procédure. L’absence de réponse du ministère à ce sujet ne fait qu’alimenter les spéculations.
Dans l’ombre des guichets, les « interros surprises » deviennent le nouveau cauchemar administratif de certains Algériens de France, déjà confrontés à la complexité des démarches de régularisation. Et si cette pratique devait se généraliser, elle poserait une question plus large sur les méthodes de gestion de l’immigration, et sur la frontière parfois ténue entre intégration et intimidation.
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