Algériens, voyage en France : l’indemnisation de 250 euros en péril

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Un vent de changement souffle sur les droits des passagers aériens européens, et il risque d’avoir un goût amer pour les voyageurs algériens. Depuis plusieurs années, nombreux sont les Algériens résidant en France ou y voyageant régulièrement qui se voient attribuer une indemnisation de 250 euros en cas de vol retardé, dès lors que la distance entre les deux pays est inférieure à 1500 kilomètres. Une compensation désormais bien ancrée dans les habitudes, mais qui pourrait disparaître sous la pression croissante des compagnies aériennes.

C’est dans le cadre de la révision du règlement européen 261/2004 que l’alarme a été tirée. Ce texte, en vigueur depuis plus de vingt ans, encadre les droits des passagers aériens de l’Union européenne, notamment en cas de vol annulé ou retardé de plus de trois heures. Pour les vols courts, comme ceux reliant l’Algérie à la France, il permet de réclamer une compensation de 250 euros. Mais cette protection, essentielle pour les consommateurs, est aujourd’hui menacée, et les Algériens de France risquent de ne plus bénéficier de cette indemnisation avantageuse.

La présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne a relancé les discussions sur cette réglementation, encouragée par le puissant lobby des compagnies aériennes, Airlines for Europe. Ce dernier milite pour une redéfinition des critères d’indemnisation, dans un sens beaucoup moins favorable aux passagers. Désormais, les nouvelles propositions évoquent un seuil de 250 euros non plus à partir de 1.500 kilomètres, mais de 3.500 kilomètres. Autrement dit, les passagers algériens, dont les vols vers la France restent en deçà de ce seuil, se verraient exclus de toute compensation, même en cas de retards prolongés.

Les chiffres parlent pourtant d’eux-mêmes. En 2023, les départs de France ont enregistré plus de 7 millions de minutes de retard, et 1 % des vols ont été purement et simplement annulés. Près d’un vol sur cinq a connu un retard supérieur à 15 minutes, preuve que les aléas restent nombreux malgré les efforts d’optimisation. Or, seule une minorité de passagers connaît réellement ses droits et les fait valoir. En moyenne, en France, un passager sur deux entreprend des démarches, un chiffre qui tombe à un sur trois à l’échelle européenne. Face à ces statistiques, la perspective de restreindre encore davantage les conditions d’indemnisation suscite une vive inquiétude.

La réorganisation des seuils va bien au-delà d’une simple question de distance. Le projet prévoit également de ne reconnaître le droit à une compensation de 400 euros qu’à partir d’un retard de neuf heures pour les vols intra-européens de moins de 3.500 kilomètres. Quant à l’indemnité maximale de 600 euros, elle ne serait envisageable que pour les retards supérieurs à 12 heures sur des vols extracommunautaires de plus de 6.000 kilomètres. Des conditions drastiques, rarement atteintes dans la pratique, et qui excluraient de facto 75 % des passagers concernés par les retards actuels.

Ce changement de cap s’accompagne également d’une volonté de restreindre davantage les « circonstances non extraordinaires » permettant une indemnisation. Une manière détournée, selon les associations, de limiter le nombre de cas éligibles. Par ailleurs, une nouvelle obligation pèserait sur les passagers : ils devront effectuer eux-mêmes une demande d’indemnisation dans un délai de six mois, alors qu’actuellement, en théorie, le remboursement est automatique.

Dix associations de consommateurs, parmi lesquelles l’UFC-Que Choisir et la CLCV, ont réagi avec vigueur à ce qu’elles qualifient de « reculs majeurs ». Dans un communiqué commun, elles dénoncent un « cadeau fait aux compagnies aériennes », qui réalisent par ailleurs des bénéfices records. Elles mettent en garde contre « une prime à la piètre qualité » de service et une incitation à ne plus respecter les horaires. Les associations appellent les États membres de l’Union européenne et les eurodéputés à défendre les acquis de la jurisprudence européenne et à refuser une réforme aux accents régressifs.

Pour les spécialistes du secteur aérien, le paradoxe est d’autant plus fort que les montants actuels n’ont pas été révisés depuis deux décennies. Anaïs Escudié, fondatrice du site RetardVol, souligne auprès de BFM que contrairement à la Convention de Montréal, qui prévoit une actualisation des indemnités tous les cinq ans, le règlement européen est resté figé dans le temps. Elle plaide au contraire pour une augmentation des montants afin de tenir compte de l’inflation galopante.

Mais rien n’est encore décidé. Le texte devra être débattu entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen. Plusieurs députés se montrent déjà hostiles à cette réforme, et la Commission continue de pointer du doigt la mauvaise volonté des compagnies à indemniser leurs passagers dans les délais impartis. Pour les voyageurs algériens en France, le droit à l’indemnisation de 250 euros en cas de retard est donc suspendu à l’issue de ce bras de fer institutionnel. Un acquis précieux, désormais plus incertain que jamais.