Dans les couloirs feutrés du Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Cambridge, où l’innovation scientifique côtoie l’excellence académique, l’empreinte d’un chercheur algérien se fait discrètement mais sûrement remarquer. Faez Amokrane Naït Mohamed, aujourd’hui membre du prestigieux Ragon Institute of Mass General, MIT et Harvard, incarne ce lien rare et précieux entre la rigueur de la recherche internationale et l’attachement indéfectible à ses racines algériennes. Dans un entretien exclusif accordé au quotidien El Moudjahid, il revient non seulement sur ses travaux novateurs mais aussi sur la trajectoire intellectuelle qui l’a mené de la Faculté des sciences biologiques (FSB) de l’USTHB d’Alger aux laboratoires avant-gardistes de la côte Est des États-Unis.
Titulaire d’une licence en biochimie et d’un master en pharmacologie, il fait très tôt le choix de s’orienter vers l’immunologie, discipline à la croisée de la biologie moléculaire et de la médecine préventive. Dans cet univers, il trouve un espace d’expression scientifique fertile, propice à l’innovation. « Je travaille actuellement au Ragon Institute of Mass General, MIT et Harvard, dans le laboratoire du Dr Lingwood Daniel, où je mène, entre autres, un projet de recherche visant à développer un vaccin universel contre la grippe », confie-t-il. Une ambition immense, à la hauteur des enjeux de santé mondiale que pose la grippe, cette maladie saisonnière qui mute rapidement et rend obsolète, année après année, les formulations vaccinales existantes. L’approche du chercheur algérien est à la fois élégante et audacieuse : « Nous ciblons les parties du virus qui ne changent presque jamais, appelées régions conservées, et nous guidons le système immunitaire humain pour qu’il y développe une réponse protectrice. »
Ses résultats, publiés en 2024, constituent une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes de réponse des cellules B humaines. Après une seule injection, certaines lignées rares de cellules sont capables de générer des anticorps neutralisants efficaces contre les deux grandes familles du virus grippal. Un exploit, d’autant plus impressionnant qu’il repose sur une stratégie vaccinale épurée, éloignée des schémas complexes traditionnels. Mais au-delà de cette réussite scientifique, Amokrane Naït Mohamed insiste sur la portée plus large de ces travaux : ils offrent un cadre pour rationaliser la conception d’autres vaccins, notamment contre les agents pathogènes hautement mutables.
Le parcours vers cette reconnaissance internationale n’a cependant rien d’un long fleuve tranquille. Il commence dans les laboratoires d’Alger, là où les équipements sont parfois obsolètes, les financements limités, et où l’ingéniosité devient une nécessité quotidienne. « Comme beaucoup de jeunes doctorants en Algérie, j’ai été confronté à un manque de moyens financiers pour mener à bien mes expériences », explique-t-il. Il évoque même avoir dû autofinancer certaines étapes de ses recherches. Ces obstacles, loin de l’éteindre, l’ont poussé à se réinventer, à optimiser chaque ressource, à chercher des partenariats, à apprendre la résilience scientifique. « Ce n’était pas facile, mais cette situation m’a appris la débrouillardise et la créativité. »
Le saut vers l’international, et en particulier vers les États-Unis, s’accompagne de nouveaux défis. La barrière linguistique, d’abord, se dresse comme un mur invisible : « En arrivant aux États-Unis, je maîtrisais déjà bien l’anglais écrit, mais j’avais plus de mal à m’exprimer oralement avec aisance. » Dans les amphithéâtres du MIT ou les réunions du Ragon Institute, les échanges sont denses, rapides, techniques. Il faut suivre, comprendre, intervenir, parfois argumenter face à des figures de la science mondiale. « Ce n’était pas un blocage, mais une forme de décalage. Heureusement, j’ai vite compris que ce qui comptait, c’était la clarté des idées et la rigueur du raisonnement. »
Sa trajectoire, exemplaire, est une invitation à l’audace pour les jeunes chercheurs algériens. Et son message est clair : « Visez haut, lisez beaucoup, restez curieux et surtout ne craignez pas de sortir de votre zone de confort. » Pour lui, l’Algérie offre une base scientifique solide, mais cette base doit impérativement être enrichie par des échanges, des conférences, des collaborations, même à distance. L’anglais, outil de travail incontournable, ne doit pas être un frein mais une passerelle. La confiance en soi, elle, vient en osant.
À la question de savoir comment il perçoit l’environnement scientifique en Algérie, Amokrane Naït Mohamed ne cache ni son attachement ni son souci. « Je pense que l’environnement scientifique en Algérie possède un vrai potentiel, notamment grâce à la richesse humaine du pays. » Toutefois, ce potentiel reste entravé par des réalités structurelles pesantes. Le financement reste le talon d’Achille de la recherche scientifique locale. Sans équipements modernes, sans accès à des bases de données, sans intégration aux réseaux internationaux, la science algérienne peine à franchir un seuil critique. « Les compétences sont là, les idées aussi, il ne manque plus que les moyens pour leur permettre d’éclore. »
Dans un monde scientifique de plus en plus interconnecté, où la mobilité professionnelle est la norme, il insiste sur l’importance d’un ancrage solide dans le pays d’origine. « Le vrai défi est de faire en sorte que cette mobilité alimente la science algérienne plutôt qu’elle ne l’appauvrisse. » Pour cela, il est nécessaire de construire un écosystème scientifique en Algérie capable de soutenir, reconnaître et réintégrer ses talents. Il en appelle à une politique de retour des cerveaux plus efficace, à des passerelles concrètes entre la diaspora scientifique et les laboratoires nationaux, à une gestion intelligente des mobilités temporaires.
Car dans cette dynamique, la perte n’est pas une fatalité. Au contraire, elle peut devenir un levier. « La science aujourd’hui ne connaît pas de frontière », rappelle-t-il. Et dans cette mondialisation du savoir, les chercheurs algériens ont un rôle à jouer, à condition d’avoir les outils nécessaires. Cela suppose une formation continue, une maîtrise des technologies, une veille scientifique permanente, et une adaptabilité face aux évolutions rapides du monde scientifique.
Faez Amokrane Naït Mohamed incarne cette ambition tranquille, faite de rigueur et d’humilité. Il n’a jamais oublié d’où il vient. « Nous, Algériens en formation à l’étranger, avons toujours comme objectif le développement de notre cher pays, l’Algérie, et serons toujours là pour elle », affirme-t-il. Ces mots, prononcés avec une conviction sincère dans les colonnes d’El Moudjahid, résonnent comme un engagement personnel mais aussi comme un appel collectif.
Ce parcours, de la FSB de Bab Ezzouar aux laboratoires high-tech de Boston, n’est pas un rêve inaccessible. Il est le fruit d’un travail acharné, d’une passion profonde pour la science, et d’un amour jamais démenti pour l’Algérie. Dans le regard du chercheur Naït Mohamed, il y a l’avenir d’un pays qui peut, lui aussi, prétendre à l’excellence scientifique, à condition d’y croire et de s’en donner les moyens.
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