Le Caftan est au cœur d’une nouvelle controverse entre le Maroc et l’Algérie, ravivant les tensions culturelles autour de l’appropriation du patrimoine immatériel. Tandis que le Maroc a récemment déposé un dossier auprès de l’Unesco pour faire inscrire le Caftan comme un élément exclusivement rattaché à son identité nationale, l’Algérie riposte par une mobilisation de citoyennes engagées, dénonçant une tentative d’appropriation culturelle. Dans une pétition qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre, chercheuses, universitaires, artisanes et militantes algériennes unissent leurs voix pour s’opposer à cette démarche perçue comme un effacement des origines partagées du Caftan entre le Maroc et l’Algérie.
Selon le collectif algérien, le Caftan n’est en aucun cas un vêtement exclusivement marocain. L’histoire, les archives, la littérature et le patrimoine vivant de l’Algérie témoignent de la présence du Caftan dans plusieurs régions du pays, et ce, bien avant la construction de toute identité nationale moderne. Le Maroc, l’Algérie et d’autres sociétés du bassin méditerranéen ont vu le Caftan évoluer, se transformer, et se transmettre à travers les siècles, prenant diverses formes selon les contextes culturels. Pour l’Algérie, cette diversité fait justement la richesse du Caftan, un héritage à partager, non à confisquer.
Faïza Riach, présidente de l’association Tourath Djazaïrna, figure parmi les signataires de cette pétition. Pour elle, l’enjeu dépasse la simple reconnaissance du Caftan : il s’agit de préserver une mémoire collective enracinée profondément dans le tissu social algérien. Elle rappelle que le Caftan algérien, porté traditionnellement lors des cérémonies nuptiales, est reconnu depuis 2012 par l’Unesco à travers l’inscription des rites et savoir-faire liés au costume féminin de Tlemcen et du Grand Ouest algérien. Le Caftan, en Algérie comme au Maroc, ne se limite pas à un vêtement de fête : il incarne un symbole identitaire, une transmission familiale, et un savoir-faire artisanal méticuleux.
Ce n’est pas la première fois que le Maroc et l’Algérie se disputent la paternité d’un élément du patrimoine. Après la controverse autour du couscous, aujourd’hui classé patrimoine commun à plusieurs pays, c’est le Caftan qui devient la nouvelle pomme de discorde. Le dossier marocain, accusé par le collectif algérien de manquer de transparence et d’exclure délibérément les contributions algériennes, relance le débat sur les limites de la propriété culturelle. Le Caftan, selon les pétitionnaires, ne peut être confiné à une frontière géographique. L’Algérie, riche de traditions régionales comme la Gandoura, la Melhefa et le Caftan, défend une vision plus ouverte de la culture.
Dans leur argumentaire, les signataires mettent en avant des références historiques précises. La poésie de Sidi Lakhdar Ben Khlouf au XVIe siècle évoquait déjà le Caftan en Algérie, tout comme les écrits d’Abderrazak Hamadouche dans son « Voyage au Hidjaz ». La musique andalouse elle-même, transmise de génération en génération, chantait les louanges de cet habit d’apparat. La revendication algérienne s’appuie aussi sur la diversité des techniques artisanales, telles que la broderie du Tel et du Medjboud, propres à la tradition algérienne du Caftan. Le Maroc, l’Algérie et le Caftan se croisent ainsi dans une histoire qui ne peut être niée ni effacée.
Plus qu’un simple vêtement, le Caftan cristallise ici un enjeu diplomatique et identitaire entre le Maroc et l’Algérie. Le collectif algérien demande donc à l’Unesco d’examiner ce dossier avec rigueur et d’envisager son retrait s’il s’avère qu’il omet sciemment l’apport d’autres cultures. Le Caftan, comme le couscous ou l’Imzad, pourrait être reconnu comme un patrimoine partagé, témoignage d’une histoire méditerranéenne tissée d’échanges, de migrations et de créations croisées. L’insistance marocaine à vouloir attribuer au Caftan une origine unique est perçue comme une volonté d’exclusivité, contraire à l’esprit même de l’Unesco.