Dans un contexte diplomatique tendu entre Alger et Paris, les déclarations croisées des responsables politiques des deux pays continuent de faire résonner leur poids bien au-delà des simples mots. L’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, récemment cité avec bienveillance par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, s’est clairement positionné ce mardi en soutien à Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, visé par des critiques émanant de la France Insoumise à l’Assemblée nationale. Raffarin a estimé que Retailleau était « à la hauteur de sa fonction », une déclaration brève mais lourde de sens dans le contexte actuel de crise entre les deux pays dirigés par Tebboune et Macron.
En février dernier, le président Tebboune avait accordé un long entretien au journal français L’Opinion, dans lequel il s’était exprimé de manière franche sur la situation complexe des relations algéro-françaises. Selon lui, les liens entre les deux pays sont devenus fragiles, et « le climat est délétère ». Il a même évoqué un échange direct avec le président Emmanuel Macron lors du sommet du G7, le 13 juin 2024, où les deux chefs d’État auraient discuté pendant plus de deux heures et demie. Au cours de cette rencontre, Macron aurait confié à son homologue algérien son intention de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, dans une démarche qu’il espérait susceptible de rallier le soutien électoral des communautés d’origine maghrébine en France. Tebboune a expliqué avoir immédiatement mis en garde Macron contre ce qu’il considère comme « une grave erreur », soulignant que cette reconnaissance violerait les engagements de la France au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, où le Sahara occidental est reconnu comme un territoire non décolonisé.
Malgré des débuts prometteurs en matière de coopération mémorielle, illustrés par la création d’une commission mixte visant à écrire ensemble l’histoire partagée des deux nations, Tebboune a déploré un arrêt presque total du dialogue politique. Il a déclaré que « plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales », tout en pointant du doigt les « déclarations hostiles » de certaines personnalités politiques françaises, notamment celles d’Eric Ciotti et de Jordan Bardella, qualifiant l’Algérie respectivement d’ »État voyou » et de « régime hostile et provocateur ». Le président algérien a toutefois précisé qu’il distinguait ces voix « rétrogrades » de la majorité du peuple français et qu’il refusait d’insulter la France.
Retailleau pas représentatif de la France qui a du poids, selon Tebboune
Dans son intervention, Tebboune avait nommé plusieurs figures françaises qu’il respecte, parmi lesquelles Jean-Pierre Raffarin. L’ancien Premier ministre figure, selon lui, parmi les intellectuels et hommes politiques porteurs d’une voix équilibrée et respectée dans le monde arabe. Raffarin, Chevènement, Royal, Villepin : autant de noms que Tebboune estime représentatifs d’une France ayant autrefois du « poids » dans les relations internationales. Il a appelé à ce qu’ils puissent s’exprimer librement, dénonçant les pratiques de certains médias français, en particulier ceux appartenant à l’empire médiatique de Vincent Bolloré, qu’il accuse de vouloir systématiquement « détruire l’image de l’Algérie« .
Le soutien explicite de Jean-Pierre Raffarin à Bruno Retailleau, figure centrale du gouvernement actuel et visé par la gauche et par les Algériens, s’inscrit donc dans une dynamique de repositionnement politique au sein même des élites françaises.
En définitive, les enjeux dépassent largement le cadre bilatéral. Ils touchent aux équilibres régionaux, à la question du Sahara occidental, à la place de la mémoire dans les relations postcoloniales et à la manière dont les voix politiques — anciennes ou actuelles — influencent les grandes orientations diplomatiques. La prise de parole de Raffarin, dans ce contexte, est bien plus qu’un simple geste de solidarité ministérielle. Elle incarne une continuité dans une tradition diplomatique française nuancée, à contre-courant des déclarations clivantes, mais toujours sujette à interprétation dans les cercles du pouvoir.