Alors que les relations diplomatiques entre l’Algérie et la France continuent d’être marquées par une série de tensions récurrentes, une autre ligne de fracture, plus discrète mais profondément enracinée dans la mémoire collective, vient de refaire surface avec force. Les Harkis, ces anciens supplétifs algériens de l’armée française durant la guerre d’Algérie, réclament aujourd’hui davantage qu’un simple mot d’excuse ou une reconnaissance symbolique. Plusieurs familles de Harkis d’Algérie ont ainsi décidé de mettre un coup de pression à la France à travers la justice, en lançant pas moins de trois actions en l’espace de quelques jours, bouleversant à nouveau le fragile équilibre mémoriel entre la France, l’Algérie et les descendants de ces anciens combattants.
L’initiative la plus marquante est sans doute la plainte contre X déposée le mercredi 21 mai au parquet de Perpignan. Elle émane de quatre familles de Harkis d’Algérie qui affirment ne plus retrouver les corps de leurs proches enterrés autrefois dans le camp de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales. Ce lieu, tristement célèbre pour avoir accueilli de nombreux Harkis rapatriés d’Algérie dans des conditions souvent indignes, devient aujourd’hui le théâtre d’un nouvel affront judiciaire. Les faits signalés au procureur de la République relèvent d’une gravité exceptionnelle : violation de sépulture, atteinte à l’intégrité de cadavres et recel de dépouilles. Selon les familles, il s’agit non seulement d’un traumatisme personnel mais également d’une atteinte intolérable à la mémoire collective des Harkis, dont les souffrances depuis leur exil d’Algérie n’ont jamais cessé de s’accumuler, souvent dans l’ombre.
L’avocat Antoine Ory, représentant les plaignants, a confié au Monde que ces familles de Harkis ont été tenues à l’écart de tout processus de transfert ou d’information. Selon lui, ces proches ont le droit fondamental de savoir ce qu’il est advenu des dépouilles de leurs frères, de leur sœur ou de leur fils. Le silence de l’administration française et le manque de clarté autour de cette disparition ajoutent une dimension dramatique à cette affaire, faisant resurgir les douleurs longtemps contenues de plusieurs générations issues de Harkis rapatriés d’Algérie. Le lien entre ces familles, leur histoire douloureuse en Algérie, et la manière dont la France a géré leur exil, prend ici une tournure aussi personnelle que politique.
Ce n’est pas la seule action engagée récemment par les représentants des Harkis d’Algérie contre la France. Deux autres procédures ont été lancées dans la même semaine, traduisant une volonté claire de faire évoluer la situation sur le plan juridique. Pour ces familles, il ne s’agit plus seulement d’obtenir des réparations symboliques ou des discours officiels. Le recours à la justice marque un tournant, une stratégie nouvelle pour faire valoir des droits longtemps négligés. Les autorités françaises sont ainsi sommées de répondre, non plus seulement dans les arènes diplomatiques ou mémorielles, mais dans le cadre précis et rigoureux des tribunaux de la République.
Loin d’être anecdotiques, ces plaintes déposées par les familles de Harkis issues d’Algérie mettent en lumière une réalité persistante : le traitement réservé à ces anciens auxiliaires, fidèles à la France durant la guerre d’Algérie, demeure un sujet sensible, souvent relégué à la marge des grandes discussions politiques.