Un ton grave, des mots soigneusement choisis, et un contexte mondial en pleine turbulence : c’est dans cette atmosphère que Salah-Eddine Taleb, gouverneur de la Banque d’Algérie, a lancé une mise en garde claire sur l’avenir des finances des pays exportateurs de pétrole, dont l’Algérie. Lors de la 51e session du Comité monétaire et financier international (IMFC), à laquelle il participait en tant que représentant de plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, il a dressé un constat sans détour sur la trajectoire incertaine de l’économie mondiale. Ce discours, rendu public par la Banque d’Algérie, a retenti comme une alarme dans une période où les revenus pétroliers sont menacés par la baisse des prix de l’or noir, mettant sous pression les entrées de devises pour des États qui, comme l’Algérie, en dépendent encore lourdement.
Le gouverneur a évoqué une conjoncture marquée par une série de perturbations majeures : ralentissement de la croissance mondiale, incertitudes persistantes sur l’inflation, reconfiguration drastique des flux commerciaux et financiers, mais aussi répercussions des politiques économiques restrictives adoptées par de grandes puissances. La référence aux décisions de l’administration Trump sur les tarifs douaniers n’est pas anodine : elle illustre un tournant stratégique aux répercussions profondes, en particulier pour les économies émergentes. En conséquence, la mondialisation semble désormais s’essouffler, et l’interdépendance entre les économies devient une vulnérabilité plus qu’une force.
Dans ce contexte, Salah-Eddine Taleb alerte : les pays exportateurs d’hydrocarbures vont devoir apprendre à composer avec des revenus moindres. Une chute durable des prix du pétrole affectera directement les flux de devises, comme les dollars générés par les exportations de l’Algérie, réduisant ainsi la capacité du pays à financer ses dépenses publiques, ses importations, et à soutenir sa monnaie nationale. Le tableau qu’il dresse de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) est tout aussi préoccupant : la baisse de la demande mondiale en biens et services, combinée à un resserrement des conditions financières, menace de fragiliser encore davantage les équilibres macroéconomiques. La production pétrolière y restera probablement modérée, et seule la vigueur du secteur non pétrolier pourrait offrir une bouffée d’oxygène.
L’Algérie est bien entendu en ligne de mire, face à cette baisse des entrées de devises. Bien que Salah-Eddine Taleb ne la cite pas directement à ce stade, la mise en garde vaut également pour elle. L’économie nationale, toujours dominée par la rente pétrolière, est particulièrement exposée. En cas de baisse des recettes d’hydrocarbures, ce sont les ressources en devises étrangères qui s’effondrent, fragilisant la balance des paiements et la stabilité du dinar. Le gouverneur appelle à des réformes fiscales ciblées, à une révision des priorités budgétaires et surtout à une diversification réelle de l’économie. Le mot d’ordre est clair : il faut s’ajuster avant qu’il ne soit trop tard.
Les experts, eux, ne sont pas plus rassurants. L’économiste Mahfoud Kaoubi, s’exprimant récemment dans la presse nationale, a confirmé que les prévisions budgétaires de l’Algérie pour 2025 se basent sur un prix de référence du pétrole à 60 dollars le baril, et un prix de marché estimé à 70 dollars. Ce scénario n’est guère rassurant, car il laisse très peu de marge de manœuvre en cas de nouvelle chute des cours. Après une embellie récente, les finances publiques pourraient de nouveau se tendre, d’autant plus que les dépenses de l’État continuent de grimper. Le déficit budgétaire projeté atteint désormais 45 % du budget pour 2025, un chiffre alarmant qui menace l’équilibre à moyen terme. Selon Kaoubi, la structure actuelle du budget, dominée par les dépenses incompressibles, ne permet pas une correction rapide ni aisée.
Ce qui semble certain, c’est que la manne pétrolière, longtemps perçue comme une source intarissable de devises pour l’Algérie, ne pourra plus jouer son rôle de bouclier face aux tempêtes économiques. La Banque d’Algérie, par la voix de son gouverneur, envoie donc un message sans ambiguïté : il est temps d’agir, de diversifier, de s’ajuster, car les temps du pétrole roi touchent peut-être à leur fin. Le reste dépendra de la volonté politique de traduire cette alerte en mesures concrètes.