Le mariage, autrefois considéré comme une institution sacrée et indissoluble, semble de plus en plus fragile en Algérie. Les statistiques révèlent une tendance inquiétante : trois couples sur quatre divorcent dans les trois premières années de mariage. En 2023, selon l’Office national des statistiques (ONS), 91 402 divorces ont été recensés sur un total de 278 664 mariages, soit un taux de 33,5 %. Cette hausse rapide et constante du divorce en Algérie depuis 2020 laisse perplexe et pousse à s’interroger : pourquoi les couples algériens se marient-ils moins et divorcent-ils plus rapidement ?
L’Algérie traverse une transformation sociale et culturelle rapide, influencée par la mondialisation et l’occidentalisation. Saliha Ouadah, professeure en sociologie urbaine, explique à nos confrères de El Watan cette montée des divorces par un changement radical dans les dynamiques familiales et sociales. Selon elle, les femmes algériennes d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que celles d’il y a quelques décennies. Ces femmes ont grandi dans une époque marquée par des bouleversements politiques et économiques, et beaucoup ont choisi de poursuivre des études, d’obtenir un emploi stable et de s’émanciper financièrement.
Cette indépendance nouvelle leur offre des options qu’elles n’avaient pas avant, notamment celle de quitter un mariage malheureux. Ouadah souligne que ces femmes ne sont plus disposées à sacrifier leur carrière ou leur bien-être personnel pour se conformer à des attentes traditionnelles. « Le mariage n’est plus un impératif social comme avant, et les femmes ne sont plus prêtes à subir des pressions sociales ou familiales », affirme-t-elle.
Les hommes, quant à eux, se trouvent souvent en décalage par rapport à ces attentes nouvelles. Si autrefois, ils occupaient une place prépondérante en tant que soutien financier et figure d’autorité, leur rôle est aujourd’hui plus flou. Les femmes attendent désormais d’eux qu’ils soient des partenaires égaux, non seulement dans la gestion financière, mais aussi dans les tâches domestiques et l’éducation des enfants. Ce changement de paradigme est souvent mal vécu par certains hommes, habitués à une répartition des rôles plus traditionnelle.
Saliha Ouadah note que ce conflit entre attentes modernes et pratiques traditionnelles est l’une des principales causes de tensions au sein des couples. « Les couples se forment rapidement, souvent sans bien se connaître, et les désillusions arrivent vite lorsque les attentes de chacun ne sont pas comblées », explique-t-elle.
L’impact des réseaux sociaux et des influences éxtérieures
Les réseaux sociaux jouent également un rôle majeur dans cette dynamique. Les plateformes comme Instagram ou Facebook offrent une fenêtre sur des modes de vie idéalisés, où la perfection semble à portée de main. Les couples se comparent constamment à ces images parfaites, ce qui peut générer frustration et insatisfaction. L’infidélité, facilitée par les réseaux sociaux, est également un facteur important dans la montée des divorces. Les tentations sont plus nombreuses, et les relations extraconjugales, plus facilement dissimulables.
La spécialiste explique également que les jeunes générations, influencées par les modes de vie occidentaux, ont des attentes différentes vis-à-vis du mariage. « Dans une société où tout va vite, les jeunes veulent tout, tout de suite. Si le mariage ne leur apporte pas immédiatement ce qu’ils recherchent, ils n’hésitent pas à y mettre un terme », analyse-t-elle.
Les conséquences financières et juridiques
En Algérie, le mariage reste une affaire coûteuse, mais le divorce, quant à lui, ne l’est pas forcément. Auparavant, les femmes hésitaient à divorcer, car cela signifiait souvent un retour chez les parents, une situation perçue comme honteuse ou dégradante. Aujourd’hui, avec une indépendance financière accrue et un cadre juridique qui protège mieux les droits des femmes, la décision de divorcer est plus facile à prendre.
Depuis la mise en place de nouvelles lois garantissant une pension alimentaire aux femmes divorcées et aux enfants issus de divorces, le processus est plus encadré. La loi algérienne stipule désormais que l’État intervient si le père refuse de verser la pension. Cette mesure, publiée au Journal officiel en février 2023, permet une exécution rapide des jugements, rendant ainsi le divorce moins problématique sur le plan financier.
Le rôle du père et l’évolution des valeurs familiales
Un autre aspect important du changement dans les dynamiques familiales est l’évolution du rôle du père. Saliha Ouadah observe que de plus en plus de pères encouragent leurs filles à être indépendantes et confiantes, une éducation qui tranche avec les valeurs patriarcales traditionnelles. Ces pères modernes ne craignent plus d’accueillir leurs filles divorcées chez eux, un choix qui aurait été mal vu il y a quelques décennies.
Le père moderne algérien participe donc à la transformation de la société, en inculquant à ses filles l’idée qu’elles ne doivent pas dépendre d’un mari pour survivre. Ce changement de mentalité a un impact direct sur le taux de divorce, car les femmes, se sentant plus autonomes, sont moins enclines à tolérer des situations de couple qui ne correspondent pas à leurs aspirations.
Vers une société occidentaliste ?
Saliha Ouadah estime que l’Algérie est en pleine transition vers une société plus occidentaliste. À l’image de ce qui se passe en Europe ou en Amérique du Nord, de plus en plus de femmes préfèrent rester célibataires plutôt que de subir les pressions d’un mariage malheureux. La chercheuse en sociologie urbaine prédit même que le taux de divorce continuera d’augmenter dans les années à venir, car la nouvelle génération de jeunes femmes est plus exigeante et moins disposée à accepter des compromis.
D’ailleurs, les études montrent que les hommes vivent généralement plus longtemps lorsqu’ils sont en couple, alors que les femmes, elles, vivent plus longtemps seules. Le mariage, souvent synonyme de stress et de sacrifices pour les femmes, devient une institution de moins en moins attirante dans une société où l’indépendance et le bien-être personnel priment.
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