En pleine crise diplomatique entre Paris et Alger, Emmanuel Macron marque une nouvelle étape dans le difficile travail de mémoire entre la France et l’Algérie. Ce 19 novembre, un geste symbolique a été réalisé par l’ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, sur instruction du président français. Ce dernier s’est recueilli devant la tombe de Larbi Ben M’hidi, héros national algérien et figure emblématique de la lutte pour l’indépendance. Ce geste intervient dix-neuf jours après une déclaration historique : la reconnaissance officielle par Emmanuel Macron que Larbi Ben M’hidi a été assassiné par des militaires français sous le commandement du général Paul Aussaresses. Cet aveu, émis le 1er novembre lors du 70ᵉ anniversaire de la Révolution algérienne, a été vu par certains comme une tentative de briser les non-dits persistants, mais il suscite des réactions mitigées des deux côtés de la Méditerranée.
Dans un communiqué publié ce mardi, l’ambassade de France à Alger a annoncé que Stéphane Romatet s’était rendu au Carré des martyrs, situé au cimetière d’El Alia, à Alger. Ce lieu hautement symbolique abrite les sépultures des grandes figures de la Révolution algérienne. « À la demande du président de la République Emmanuel Macron et en son nom, l’ambassadeur de France a déposé une gerbe de fleurs sur la tombe de Larbi Ben M’hidi », indique le texte. Cette démarche s’inscrit dans une volonté affichée par Emmanuel Macron de poursuivre ce qu’il qualifie désormais de « travail de vérité et de reconnaissance ». Ce vocabulaire, inédit dans les discours des dirigeants français à ce sujet, traduit une évolution dans l’approche de la France envers son passé colonial. La reconnaissance explicite de crimes commis pendant la guerre d’Algérie n’était, jusqu’à récemment, qu’épisodique et timide. Cette fois, Emmanuel Macron semble vouloir franchir un cap en assumant les responsabilités historiques de l’État français.
La figure de Larbi Ben M’hidi demeure l’un des symboles les plus puissants de la lutte pour l’indépendance algérienne. Membre des six dirigeants historiques du Front de libération nationale (FLN), il a orchestré des opérations majeures dès le début de l’insurrection en 1954. Arrêté en février 1957 par les parachutistes français lors de la Bataille d’Alger, Ben M’hidi fut exécuté dans une ferme de la Mitidja, sous les ordres directs du général Aussaresses. Ce dernier, dans des aveux publiés en 2000, avait reconnu son implication, affirmant que Ben M’hidi avait été étranglé par ses hommes après avoir subi des tortures. Jusqu’à la déclaration récente d’Emmanuel Macron, la version officielle française maintenait qu’il s’était suicidé dans sa cellule. La reconnaissance de cet assassinat constitue donc une rupture importante avec des décennies de silence et de déni. Cependant, elle met également en lumière les attentes toujours vives de l’Algérie sur le sujet.
Si certains saluent la démarche de Macron comme un pas vers un apaisement des tensions, d’autres y voient un geste insuffisant, voire calculé. De nombreuses voix en Algérie dénoncent ce qu’elles qualifient de « goutte à goutte mémoriel », une stratégie consistant à reconnaître les crimes coloniaux au compte-gouttes sans entreprendre de démarche globale. L’historien algérien Ahmed Khelladi résume ce sentiment : « Nous ne voulons pas de gestes isolés ou symboliques. Ce qu’il faut, c’est une reconnaissance officielle et complète de tous les crimes commis pendant la colonisation. » Cette attente se reflète aussi dans les sphères politiques algériennes, où les relations avec Paris demeurent tendues. Les autorités algériennes exigent davantage qu’un simple travail de mémoire : elles souhaitent des excuses officielles, voire des réparations pour les décennies de colonisation.
Les relations franco-algériennes sont souvent marquées par des tensions récurrentes, sur fond de mémoire et de responsabilités historiques. Cette crise diplomatique actuelle, exacerbée par des désaccords sur les questions migratoires et économiques, complique davantage les initiatives de rapprochement. Néanmoins, en choisissant d’aborder de front ces questions sensibles, Emmanuel Macron semble vouloir poser les bases d’un dialogue renouvelé. Ce travail mémoriel pourrait constituer une clé pour sortir de l’impasse, à condition qu’il s’accompagne d’actes concrets et d’une coopération sincère entre les deux nations. Pour l’instant, ce geste sur la tombe de Larbi Ben M’hidi, aussi symbolique soit-il, reste un pas parmi d’autres dans un cheminement qui s’annonce long et ardu. Seule l’histoire dira si ces gestes seront suffisants pour ouvrir une nouvelle ère dans les relations entre la France et l’Algérie.
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