France : l’Algérie fait capoter le plan machiavélique de Retailleau

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Dans le bras de fer diplomatique qui oppose Paris à Alger, la situation vient de prendre un tournant inattendu. Bruno Retailleau, ministre français de l’Intérieur, pensait pouvoir accélérer les expulsions de ressortissants algériens vers l’Algérie, même sans certitude formelle de leur nationalité. Mais c’était sans compter sur la vigilance et la stratégie discrète des autorités algériennes, qui viennent de faire échouer ce plan jugé machiavélique.

Depuis plusieurs semaines, Alger a mis en œuvre une tactique d’une redoutable efficacité : réduire volontairement le nombre d’éloignements de ses ressortissants que la France souhaite expulser. Alors que la coopération entre les deux pays en matière de reconduite à la frontière semblait s’inscrire dans le cadre d’accords bilatéraux bien huilés, l’Algérie a changé de cap. Les autorités consulaires algériennes n’effectuent plus d’auditions dans de nombreuses villes françaises, rendant ainsi les procédures d’expulsion extrêmement difficiles.

Habituellement, pour expulser un ressortissant étranger, la France doit obtenir un laissez-passer consulaire (LPC) délivré par le pays d’origine. Lorsque l’identité de la personne est avérée, le processus est relativement simple et se fait sur dossier via les préfectures. Mais dans les cas où l’identité est incertaine, une audition en personne par une autorité consulaire est indispensable. C’est précisément sur ce point que les autorités algériennes ont choisi d’agir : elles ne se déplacent plus dans les centres de rétention administrative (CRA) pour procéder aux entretiens.

Depuis février, dans des villes comme Lyon, Grenoble, Saint-Étienne, Lille ou encore Bordeaux, aucune audition n’a été réalisée. À Lille, par exemple, les entretiens ont cessé depuis le 12 mars. À Bordeaux, le vice-consul d’Algérie n’a pas répondu aux convocations, comme souhaité par Retailleau, depuis le 20 mars. Cette paralysie n’a rien de fortuite : selon un document consulté par Le Point, bien que les consulats n’aient pas transmis d’écrit officiel, il est désormais certain que ces absences sont dictées par des instructions directes de l’ambassade algérienne en France.

Cette stratégie fait peser une lourde menace sur le dispositif français de gestion de l’immigration illégale. Privée de LPC, la France est dans l’incapacité d’expulser des individus, même lorsqu’ils sont considérés comme des dangers pour l’ordre public. Bruno Retailleau a exprimé son inquiétude mercredi sur BFMTV en affirmant que « 95% des profils en CRA sont des profils dangereux » et que « 43 à 44% de cette population est d’origine algérienne », soit environ 600 personnes. Sans coopération algérienne, ces chiffres se traduisent par une stagnation inquiétante des expulsions.

La situation est d’autant plus tendue depuis l’affaire Doualem, cet influenceur algérien dont la remise en liberté a ravivé les tensions diplomatiques entre les deux pays. L’Algérie semble désormais déterminée à user de tous les moyens possibles pour affirmer sa souveraineté, quitte à piétiner l’accord bilatéral de 1994 qui permettait à la France d’expulser sans LPC les Algériens possédant des documents d’identité.

Face à ce blocage, Paris tente de limiter les dégâts. La France a intensifié ses échanges avec le Maroc, qui, à l’inverse d’Alger, se montre plus coopératif. Cela permet d’éviter pour l’instant un engorgement massif des CRA, mais la solution reste temporaire. À moyen terme, des mesures plus drastiques sont envisagées, notamment l’allongement de la durée de rétention de 90 à 210 jours. De plus, l’ouverture de trois nouveaux centres de rétention, prévus à Bordeaux, Dijon et Dunkerque d’ici 2026, est perçue comme essentielle pour désengorger le dispositif actuel.

Beauvau étudie également la création de CRA « moins sécurisés » pour les personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) mais ne présentant pas de risque immédiat pour la sécurité. Cette initiative viserait à réserver les centres actuels aux profils les plus dangereux, dans une tentative de mieux gérer la saturation du système.

Malgré ces tentatives d’adaptation, la France se heurte à une réalité brutale : sans la collaboration active de l’Algérie, le dispositif d’expulsion montre ses limites. En refusant d’apporter son aide à la France dans l’identification et la reconduite de ses ressortissants, Alger utilise son pouvoir diplomatique comme un levier stratégique.

Ce coup d’arrêt imposé par l’Algérie à Retailleau souligne une réalité souvent oubliée : dans les relations internationales, l’expulsion de ressortissants étrangers dépend autant des équilibres diplomatiques que des mécanismes juridiques. Avec cette manœuvre habile, Alger rappelle qu’elle n’est pas un partenaire docile et qu’elle entend défendre ses intérêts, même face à la pression du ministre de l’Intérieur français. Dans ce jeu d’échecs diplomatique, il semble bien que pour l’instant, la partie soit à l’avantage de l’Algérie.