Kamel Daoud est aujourd’hui l’un des écrivains les plus en vue de la scène littéraire francophone, en particulier en raison de son dernier roman Houris, qui continue de susciter de nombreuses discussions et polémiques. Si son succès en tant qu’écrivain semble indiscutable, il convient néanmoins de s’intéresser à son parcours intellectuel et à ses prises de position, qui laissent entrevoir une proximité avec certains courants politiques controversés. D’abord qualifié de « progressiste » par ses partisans, Daoud semble avoir opéré un virage politique qui mérite une analyse plus approfondie, notamment en ce qui concerne ses rapports avec les droites extrêmes, et plus précisément son soutien implicite au Rassemblement national (RN) en France. Ses chroniques publiées dans des journaux comme Le Point offrent un éclairage sur ses positions politiques, souvent très éloignées de celles qu’on pourrait attendre d’un écrivain progressiste.
Ce qui frappe dans les écrits de Kamel Daoud, c’est la manière dont il se positionne par rapport à des enjeux sociaux et politiques majeurs en France, notamment l’immigration, l’islam et la laïcité. Dans une série d’articles parus en 2023 et 2024, Daoud semble s’engager dans une critique virulente de la gauche française, notamment de La France Insoumise (LFI) et de son leader Jean-Luc Mélenchon. En revanche, il n’hésite pas à exprimer son admiration pour certains représentants de l’extrême droite, comme Malika Sorel-Sutter, une figure du RN, qu’il présente comme un modèle de « lucidité républicaine » face aux défis posés par l’immigration et l’islamisme. Cette posture, à la fois choquante et cohérente pour certains observateurs, dépeint un écrivain qui privilégie une vision du monde où les enjeux identitaires et culturels priment, souvent au détriment des principes progressistes qu’il défendait jadis.
Kamel Daoud semble particulièrement préoccupé par ce qu’il perçoit comme une « soumission idéologique et religieuse » de certaines populations issues de l’immigration, en particulier musulmanes. Dans ses chroniques, il ne cache pas son rejet de ce qu’il appelle l’« islamo-gauchisme », un terme qu’il utilise pour désigner, de manière péjorative, les courants progressistes qui, selon lui, se montrent trop indulgents à l’égard des dérives islamistes et des problèmes d’intégration. En l’occurrence, Daoud oppose cette vision à celle défendue par des personnalités comme Malika Sorel-Sutter, qui milite pour une immigration contrôlée et une laïcité stricte. Selon lui, cette approche est bien plus en phase avec les valeurs républicaines que celle, plus inclusive, de l’extrême gauche.
Ce qui est frappant dans cette analyse, c’est la manière dont Daoud met en lumière ce qu’il considère comme les failles du discours politique traditionnel en France. Plutôt que d’offrir une critique des structures de pouvoir et des inégalités systémiques, il semble davantage préoccupé par la montée d’un « islam radical » qu’il juge incompatible avec les valeurs républicaines. D’ailleurs, dans l’une de ses chroniques, il suggère que le Rassemblement national pourrait constituer une réponse plus efficace face à ce phénomène que les partis de gauche. En qualifiant l’extrême droite de « républicaine » et de « patriote », il banalise quelque peu les discours de haine et d’exclusion souvent associés à ces mouvements politiques, en les intégrant dans une rhétorique nationale qui, selon lui, vise avant tout à préserver l’identité française.
Au-delà de ses prises de position sur l’immigration et l’islam, Kamel Daoud semble également se livrer à une critique acerbe de la gauche française, qu’il considère comme hypocrite et complice d’un système qu’il juge « défaillant ». Selon lui, cette gauche serait responsable de l’émergence d’une forme de victimisation qui empêche une véritable réflexion sur les problèmes de l’immigration et de l’intégration. De plus, il va jusqu’à dénoncer ce qu’il perçoit comme une censure idéologique de la part des médias progressistes, qui selon lui, refuseraient de traiter de manière objective des questions liées à l’islam et à la laïcité, par peur de froisser certaines communautés.
Il est intéressant de noter que ce virage politique de Kamel Daoud coïncide avec sa naturalisation française en 2020, un événement qui semble marquer un tournant dans sa manière d’aborder les questions politiques et sociales. Désormais « sur-citoyen-naturalisé », il se pose en défenseur de la République, jouant un rôle de moraliste dans le débat public. Cette posture de « sur-citoyen » se distingue par une volonté de se poser en gardien des valeurs républicaines, tout en se tenant à distance des luttes sociales qui animent les communautés migrantes et les classes populaires en France.