France : le titre de séjour de 10 ans bloqué pour les Algériens ? 

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Dans l’ombre des discours politiques et des échanges diplomatiques tendus, une inquiétude grandissante s’est installée dans le quotidien de milliers d’Algériens résidant en France. La question du renouvellement du titre de séjour, en particulier celui de 10 ans, cristallise aujourd’hui des craintes parmi les Algériens établis dans l’Hexagone. Depuis que la France a décidé d’expulser douze agents consulaires algériens, en réponse à une mesure similaire prise par Alger, une onde de choc s’est propagée dans les couloirs des administrations, mais aussi dans les esprits. Ce climat, qualifié par certains d’inédit, fait vaciller les projets de vie et ranime de vieilles blessures diplomatiques. Dans ce sens, Franceinfo a recueilli des témoignages d’Algériens établis en France.

Parmi ces Algériens exprimant de vives inquiétudes, au sujet du renouvellement de son titre de séjour de 10 ans, on trouve Sabrina. Retraitée installée depuis 18 ans en France, elle attend le renouvellement de sa carte de séjour de 10 ans. Elle avait prévu d’acheter un appartement. Aujourd’hui, tout est suspendu. « On ne sait jamais, est-ce que ma carte de séjour sera bien renouvelée ? », s’interroge-t-elle, la voix chargée d’inquiétude, alors qu’elle attend depuis plusieurs mois, mais sans avoir aucune nouvelle. Nassim, chauffeur de bus, redoute l’échéance de ses propres papiers, encore valables pour quatre ans. Pour lui, la tendance est claire : obtenir un titre de séjour longue durée est devenu bien plus ardu. Bilel, chauffeur poids-lourd de 33 ans, en attente de régularisation, voit déjà l’horizon se boucher. Pourtant, il coche toutes les cases du « bon » migrant : travailleur, contribuable, intégré. Mais dans cette nouvelle donne politique, ces critères ne suffisent plus à rassurer.

La peur du blocage ne touche pas uniquement ceux qui attendent leur régularisation. Sarah, née en France d’un père franco-algérien, ressent une urgence nouvelle. Elle a entamé les démarches pour obtenir la double nationalité. « Je me dis qu’il faut que je fasse la demande au plus vite », confie-t-elle. À l’inverse, Chakib, informaticien de 29 ans, engagé dans une procédure de naturalisation, se heurte à des délais interminables. Sept ans qu’il vit en France, et la citoyenneté française lui semble toujours aussi lointaine. Il se demande même si, demain, la binationalité sera encore permise, ou si elle ne deviendra pas la prochaine victime collatérale de ce bras de fer diplomatique.

À l’association Ecaf, les témoignages se multiplient. Yacine Bouzidi, l’un de ses responsables, rapporte des cas de retards anormaux dans le traitement des titres de séjour. Officiellement, rien ne lie directement ces lenteurs au climat diplomatique, mais sur le terrain, le ressenti est tout autre. Les chiffres, eux, traduisent une réalité contrastée : en 2024, les titres de séjour accordés aux Algériens en première demande ont baissé de 9,1 %, tandis que les renouvellements, eux, ont bondi de 24,3 %.

Les conséquences dépassent le cadre personnel. Certains cadres, habitués à faire des allers-retours professionnels entre la France et l’Algérie, voient leur activité menacée. La suspension d’événements économiques, comme la rencontre entre le Medef et le Conseil du renouveau économique algérien, illustre les répercussions tangibles du conflit sur le monde des affaires. Des artistes et réalisateurs, comme Khadija, perçoivent aussi les signaux d’un malaise croissant. Travailler avec des institutions françaises ? Un choix désormais pesé, parfois même évité, de peur d’être mal perçu.

Et au fond de cette crise, il y a ce mal-être diffus, mais persistant. Rebiha parle d’un tiraillement identitaire permanent. Karima, conseillère à France Travail, redoute qu’un jour, on leur impose de choisir entre deux pays. Sur les réseaux sociaux, les messages haineux prolifèrent. Billy enrage devant les stéréotypes relayés à la télévision. Khadija, elle, confie sa honte croissante. « Je suis dans un pays qui, clairement, ne veut plus de moi », lâche-t-elle. Sans son compagnon français, elle serait déjà repartie en Algérie. Chakib aussi pense au retour. Et s’il n’était pas le seul ? L’appel des autorités algériennes à la diaspora qualifiée, les démarches facilitées pour les professions libérales, les promesses d’un accueil administratif plus souple… tout semble organisé pour préparer le retour des cerveaux.

Dans ce climat, la frustration domine. Beaucoup estiment que cette crise aurait pu être évitée. Que les relations entre la France et l’Algérie n’étaient pas si mauvaises, jusqu’à ce que certains responsables politiques jettent de l’huile sur le feu. Bruno Retailleau, pointé du doigt, se défend en évoquant des attaques injustes, y compris des médias algériens. Mais le surnom qui lui colle à la peau, « Retailleau La Haine », résume à lui seul le sentiment d’une partie de la population algérienne. Un surnom entendu dans les rues d’Alger, comme une étiquette devenue virale.

Aujourd’hui, pour une large part des Algériens de France, les perspectives sont brouillées. Le titre de séjour de 10 ans, longtemps perçu comme un gage de stabilité, devient un sujet d’angoisse. Les projets sont mis en veille, les allers-retours familiaux compromis, les rêves de naturalisation ralentis, les ambitions professionnelles freinées. Dans ce tumulte, chacun tente de préserver un semblant de normalité. Mais les regards se tournent déjà vers demain, dans l’attente d’un signe d’apaisement ou d’un éclaircissement administratif. Car au fond, derrière les chiffres et les chiffres, c’est une question existentielle qui émerge : dans quel pays a-t-on encore le droit d’appartenir pleinement ?

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