France : près de 20 ans après sa naturalisation, une mère algérienne perd la nationalité

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L’histoire de Djamila, une Algérienne installée en France depuis plusieurs décennies, illustre à quel point une simple erreur administrative peut bouleverser des vies entières. En 2000, Djamila et trois de ses enfants obtiennent officiellement la nationalité française après des années passées sur le sol français. Ce moment, qu’elle considérait comme l’aboutissement de son intégration, symbolisait pour elle une reconnaissance. Mais dix-neuf ans plus tard, cette nationalité lui a été retirée, la replongeant dans une situation d’incertitude totale.

Tout commence par une simple démarche administrative. En 2016, Djamila dépose une demande de renouvellement de ses papiers. Sans qu’elle ne s’en doute, cette procédure déclenche une enquête de la part de l’administration française. Trois ans plus tard, en 2019, le tribunal judiciaire de Paris décide d’annuler son certificat de nationalité ainsi que ceux de ses enfants. « Pourquoi ils nous retirent quelque chose qu’ils nous ont donné ? », s’interroge-t-elle dans un témoignage relayé par le journal Libération.

Née en Algérie, cette Algérienne pensait que tout était réglé depuis longtemps. Son grand-père, explique-t-elle, avait été naturalisé Français en 1896, une information confirmée à l’époque par les autorités. Mais en examinant le dossier, l’administration a relevé un décalage entre la date de naissance figurant sur les documents de son ancêtre et celle présente dans les archives. Une simple différence d’année a suffi à remettre en question toute la chaîne de filiation, entraînant la perte de la nationalité pour plusieurs générations.

Dans ce type d’affaires, un détail administratif peut anéantir des décennies d’intégration. L’article 30 du Code civil français prévoit que c’est à l’intéressé d’apporter la preuve de sa filiation. Or, dans le cas de nombreux descendants d’Algériens, les registres d’état civil établis pendant la période coloniale sont souvent incomplets ou incohérents. Cette fragilité des archives place des familles entières dans une position d’extrême vulnérabilité. « Une famille peut perdre la nationalité à cause d’un chiffre ou d’une lettre mal retranscrite, sans tenir compte du chaos des registres d’état civil de l’époque coloniale », déplore Me Stéphane Maugendre, président honoraire du Groupe d’information et de soutien des immigrés.

Pour Djamila, cette annulation est une véritable tragédie. Elle menace ses quatorze enfants, ainsi que leurs propres descendants. En tout, près de quarante personnes risquent de devenir des sans-papiers du jour au lendemain. « On pourrait être nombreux à tomber avec elle », confie Latifa, l’une de ses filles. Son frère aîné, Farès, dénonce quant à lui une profonde injustice : « Pourquoi la France nous manque-t-elle autant de respect alors que nous avons tous les documents qui prouvent que notre arrière-grand-père a été naturalisé ? Nous ne sommes pas des malfaiteurs. »

Selon les chiffres publiés par Libération, plus de 2 400 dossiers relatifs à la nationalité française ont été jugés en 2024. Même si les actions intentées directement par le ministère public représentent moins de 5 % de ces affaires, ce sont très souvent les descendants d’Algériens qui se retrouvent concernés. La situation de Djamila n’est donc pas un cas isolé. Des centaines de familles d’origine algérienne, installées depuis plusieurs générations en France, se retrouvent aujourd’hui à devoir prouver qu’elles ont bien droit à cette nationalité que leurs parents ou grands-parents détenaient déjà.

L’avocate de la famille, Me Elena Velez de la Calle, dénonce la sévérité de ces décisions : « J’ai rarement vu des procédures qui vont aussi loin. La violence que subissent des Français, qui se retrouvent du jour au lendemain comme des immigrés à peine entrés sur le territoire, est ahurissante. »

Pour tenter de sauver leur statut en France, les enfants de Djamila ont entrepris un véritable marathon administratif. Ils ont fouillé les archives en France et en Algérie, cherchant des preuves de leur ascendance. Parmi les documents retrouvés figure une attestation du ministère des Armées, confirmant que leur grand-père avait été réformé de la Première Guerre mondiale à cause d’un pied bot. Mais ces éléments n’ont pas suffi à convaincre les juges.

L’un des fils de Djamila a tenté de recourir à la procédure dite de « possession d’état », qui permet de revendiquer la nationalité française lorsqu’une personne a été reconnue comme française pendant plus de dix ans. Mais là encore, la demande a été rejetée, malgré des décennies passées en France, des années de travail, et une vie de famille profondément ancrée dans le pays.

En attendant une décision de la Cour de cassation, Djamila vit dans l’incertitude. Depuis la mort de son mari en 2021, elle partage son temps entre la Kabylie et les Hauts-de-Seine. « Pendant que je cours derrière des papiers, mes voisines sont entourées de leurs enfants et de leurs petits-enfants », confie-t-elle, la voix brisée. Cette Algérienne, qui pensait finir sa vie paisiblement en France, se retrouve aujourd’hui étrangère dans le pays dont elle détenait la nationalité depuis près de vingt ans. Une situation qui, à travers son histoire, met en lumière la fragilité administrative et humaine de milliers de familles issues de l’immigration algérienne.