Dans les couloirs silencieux des usines Brandt, là où les fours, micro-ondes et cuisinières prennent forme, le brouillard de l’incertitude plane depuis l’annonce du tribunal de Nanterre : le 1er octobre, Groupe Brandt et Brandt France ont été placés sous redressement judiciaire. Une étape lourde de conséquences pour la filiale française du groupe algérien Cevital, qui depuis dix ans investit en France pour maintenir la production et l’innovation tout en consolidant ses ambitions européennes. Cevital, présent à la fois en Algérie et en France, voit dans ce redressement une manœuvre nécessaire pour protéger son implantation française tout en préparant l’avenir industriel de Brandt, filiale qui porte à la fois son nom et ses espoirs de développement hors d’Algérie.
Les chiffres mettent en lumière l’ampleur du défi : −3,6 % de chiffre d’affaires en 2023, −3,9 % en 2024, une contraction des ventes qui illustre combien le marché du gros électroménager en France reste dépendant de facteurs économiques plus larges, notamment le secteur immobilier et le rythme des déménagements. Ces baisses successives reflètent une réalité simple : l’achat d’un réfrigérateur ou d’une cuisinière suit souvent l’acquisition ou la rénovation d’un logement. Ainsi, Brandt, filiale de Cevital implantée en France, se retrouve confrontée à des cycles économiques indépendants de sa volonté mais qui pèsent lourdement sur ses comptes.
La carte industrielle du groupe éclaire les enjeux. En Algérie, le site de Sétif s’étend sur 95 000 m² et produit annuellement 8 millions d’appareils, allant des téléviseurs aux climatiseurs, en passant par les cuisinières et lave-linges, avec un taux d’intégration interne de 70 à 80 %. Cevital y a investi 250 millions de dollars et emploie près de 4 000 personnes, transformant ce site en un pilier industriel destiné à l’export vers l’Europe. Les deux sites français, à Orléans et Vendôme, produisent environ 500 000 appareils par an, spécialisés dans la cuisson, destinés à 70 % au marché français et 30 % à l’export européen, et sont complétés par deux centres de R&D, un à Orléans et un à Sétif. Ces infrastructures font de Brandt, filiale de Cevital, un acteur clé capable de lier production locale et compétitivité internationale, mais aussi un groupe vulnérable face aux fluctuations du marché français.
Le redressement judiciaire ouvre donc une fenêtre stratégique : d’un côté, protéger les sites français et les emplois, de l’autre, permettre à Cevital de renégocier la structure financière, de préparer l’arrivée possible d’un repreneur et de maintenir l’ancrage industriel de Brandt en France. Les marques De Dietrich, Sauter et Vedette font également partie du portefeuille, renforçant la valeur industrielle et stratégique de cette filiale. Les tribunaux offrent un cadre légal pour restructurer, mais la réussite dépendra aussi de la capacité à attirer un investisseur capable de conjuguer la production en France avec les ambitions européennes du groupe Cevital.
La crise révèle aussi la complexité du modèle industriel transfrontalier : Cevital a misé sur la complémentarité de ses sites algériens et français, mais la filiale en France doit maintenant affronter un marché mature, où la demande diminue et la concurrence internationale se fait rude. La gestion des coûts, l’optimisation de la production et la préservation du savoir-faire industriel deviennent des priorités cruciales pour garantir que Cevital et Brandt continuent à exister en France tout en restant compétitifs à l’échelle européenne.