Harkis, Algérie – France : mauvaise surprise pour les ayants droit

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Dans un climat toujours sensible autour de la mémoire coloniale, un nouveau rebondissement vient marquer la relation entre les harkis, l’Algérie et la France. Le gouvernement français a récemment communiqué des données officielles révélant que plus de 10 000 anciens harkis, collaborateurs de l’armée coloniale française pendant la guerre de libération de l’Algérie, ainsi que leurs familles, ont déposé en 2024 de nouvelles demandes d’indemnisation prévues par la loi de 2022. L’Algérie, dont la mémoire collective reste profondément marquée par les actes des harkis, voit en cette politique française une continuité dans la reconnaissance de ceux qu’elle considère comme des traîtres, tandis que la France poursuit une logique de réparation historique.

La Commission nationale indépendante de reconnaissance et d’indemnisation a reçu 10 321 dossiers, dont 7 388 ont été validés, selon une réponse officielle du ministère des Armées français en date du 3 juin 2025. Cette réponse faisait suite à une question écrite du député Stéphane Rambaud, élu du Rassemblement National, formation politique connue pour ses positions particulièrement hostiles envers l’Algérie, les harkis et les populations issues de l’immigration. À travers ce processus, la France continue de traiter la question des harkis avec un mélange d’enjeux politiques internes et de pressions juridiques venues d’instances européennes.

Le 4 avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt dans l’affaire « Tamazout », obligeant la France à revoir les montants d’indemnisation liés au camp de Bias, un des centres d’accueil réservés aux harkis. En réaction, les autorités françaises ont adopté le décret 2025-256, en date du 20 mars 2025, qui a triplé le montant de l’indemnisation, le faisant passer de 1 000 à 4 000 euros par année de résidence. Cette mesure a été étendue au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, marquant une volonté française d’appliquer une équité dans le traitement des différents sites d’accueil.

Dans son second rapport, publié le 29 avril 2025, la Commission nationale a recommandé l’inclusion de 37 nouveaux camps dans la liste des sites éligibles à indemnisation. Le Premier ministre français a approuvé cette recommandation, donnant un feu vert politique à l’élargissement des compensations en faveur des harkis. Ce geste renforce le positionnement de la France dans son effort d’apaisement envers une partie de sa population historiquement marginalisée, mais continue de générer des tensions, notamment en Algérie, où la mémoire des harkis reste conflictuelle.

Toutefois, une ombre vient ternir cette dynamique : la proposition du parti Renaissance, formation du président Emmanuel Macron, visant à permettre aux héritiers des harkis décédés de bénéficier également des indemnités prévues, a été ignorée par le gouvernement. Déposée sous forme de question écrite par le député Jean-François Lovisolo, cette suggestion demandait une révision du cadre juridique actuel afin de permettre aux enfants et proches des harkis morts avant l’entrée en vigueur de la loi de 2022 de déposer des demandes d’indemnisation à titre posthume.

La France, l’Algérie et les harkis se retrouvent ici au croisement de mémoire, de politique et de justice. Le refus implicite du gouvernement français de répondre à une proposition pourtant émanant du parti présidentiel illustre une certaine réticence à étendre encore davantage le champ des bénéficiaires. Selon le député Lovisolo, les articles 3 de la loi et 9 du décret exécutif n°2022-394 constituent des barrières légales injustes, car ils imposent que le demandeur ait personnellement résidé dans un camp entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, excluant de facto les héritiers de nombreux harkis aujourd’hui décédés.

L’Algérie observe avec attention ces développements en France concernant les harkis, d’autant que la question touche aux fondements d’un passé douloureux partagé. Dans ce contexte, le refus d’étendre les droits aux descendants représente une mauvaise surprise pour les familles concernées, alors que la France semblait pourtant engagée dans une politique de reconnaissance et de réparation plus inclusive. Ainsi, les harkis, l’Algérie et la France restent liés par une histoire complexe où chaque décision prise à Paris résonne bien au-delà des frontières hexagonales.