Il obtient son titre de séjour, puis demande le divorce 15 jours après. Cette phrase, glaçante dans sa simplicité, résume le calvaire vécu par Flora, une femme française victime d’un mariage gris. Ce témoignage, accordé à France 3, met en lumière un phénomène encore tabou en France mais qui continue de briser des vies : les mariages contractés dans l’unique but d’obtenir un titre de séjour, avant de demander le divorce dès que les papiers sont en main.
Flora, 53 ans, fonctionnaire, a rencontré son compagnon, journaliste d’origine égyptienne, lors d’un séjour à l’étranger. Pendant près de trois ans, la relation s’est construite à distance, alimentée par les promesses, les attentions, les appels. Elle a fini par croire à cette idylle, espérant une vie commune solide. En mai 2024, le mariage est célébré. Peu après, l’homme obtient son titre de séjour. Et 15 jours plus tard, il demande le divorce. Le choc est immense. Flora avoue ne rien avoir vu venir, tant il avait su jouer le rôle du mari aimant jusqu’au bout, allant même jusqu’à lui souhaiter la fête des mères comme si de rien n’était. Elle conserve encore aujourd’hui, dans un classeur rouge, plus de cent courriers envoyés aux institutions françaises pour tenter d’annuler ce mariage qu’elle qualifie de manipulation, de piège émotionnel et juridique. En vain.
Ce genre d’arnaque sentimentale n’est pas isolé. Mohamed Okba, 34 ans, a lui aussi été victime d’un mariage gris. Son histoire débute en 2017 avec une femme de nationalité algérienne. Après des années de relation à distance, ils se marient en 2019. En 2020, elle obtient son titre de séjour, s’installe en France, puis change brusquement de comportement. Dans sa chambre, elle refuse tout contact. Le divorce est rapidement évoqué. Là encore, le titre de séjour semble avoir été la finalité réelle. Mohamed, handicapé depuis l’enfance suite à une anesthésie ratée, dit avoir été profondément blessé. Le divorce est finalement prononcé, après trois ans de procédure. Dépression, isolement, séances chez le psychologue : les séquelles sont profondes.
Le témoignage de ces deux personnes, recueilli par France 3, illustre bien l’engrenage juridique et psychologique dans lequel les victimes se retrouvent piégées. La plupart, comme Mohamed, préfèrent entamer une procédure de divorce plutôt que de demander une annulation de mariage. Cette dernière, plus longue et complexe, implique de prouver l’intention frauduleuse du conjoint dès le début de la relation, ce qui est juridiquement difficile. Pourtant, l’annulation est la seule procédure qui reconnaît rétroactivement que le mariage n’a jamais existé légalement.
Fatima Attmani Terki, la mère de Mohamed, a fondé l’association Dommages. Elle y accueille une soixantaine de victimes. Elle précise que beaucoup d’hommes ont du mal à parler, par honte. Le sujet reste tabou, notamment chez ceux qui pensent que se faire piéger par une femme relève de la faiblesse. Or, dans les cas de mariage gris, l’escroquerie est souvent préméditée, structurée, parfois même accompagnée de violences verbales, psychologiques ou physiques. Certaines victimes, selon Fatima, vivent dans la peur après avoir été menacées ou agressées par leur ex-conjoint.
En France, les autorités peinent encore à suivre le nombre réel de ces fraudes sentimentales. Pourtant, les divorces liés à l’obtention rapide d’un titre de séjour sont devenus suffisamment fréquents pour alerter les associations. Le Code pénal prévoit des sanctions : cinq ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour fraude au mariage. Mais dans la pratique, il est très rare que les escrocs soient poursuivis.
En attendant, les victimes, comme Flora, se battent seules pour que justice soit rendue. Elle dit avoir perdu foi dans la sincérité des engagements. Pour elle, le mariage était une promesse d’avenir. Pour lui, une simple étape administrative pour obtenir son titre de séjour, avant un divorce rapide, froid, brutal, 15 jours plus tard.