Le Centre Hospitalier Universitaire Mohamed Lamine Debaghine, plus connu sous le nom de CHU de Bab El Oued, a lancé un appel d’urgence d’une rare gravité après l’enregistrement de plusieurs cas d’intoxication aiguë au plomb chez des nourrissons. Ce cri d’alarme, relayé via un communiqué officiel, survient à la suite d’un décès tragique et de l’arrivée de plusieurs enfants en état critique. Tous les cas étudiés par le service de toxicologie avaient un point commun : l’administration orale de Khôl, un produit traditionnel utilisé depuis des générations comme remède supposé ou comme fortifiant pour les bébés.
Selon les informations communiquées par l’hôpital, le décès d’un nourrisson âgé d’à peine 14 mois a particulièrement marqué les équipes médicales. Les analyses ont révélé un niveau de plomb dans son organisme dépassant largement tous les seuils de sécurité. Le cas n’est malheureusement pas isolé : un bébé de 19 mois a été admis avec un taux de 52,5 microgrammes par litre, tandis qu’un nourrisson de seulement 12 mois présentait un taux effrayant de 722,4 microgrammes par litre, accompagné de complications sévères pouvant engager le pronostic vital. Un autre enfant de 10 mois fait également partie des cas suspects en cours d’évaluation.
Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que l’Organisation Mondiale de la Santé fixe le seuil critique à 50 microgrammes par litre chez l’enfant. Au-delà, les risques deviennent importants ; or dans certains cas enregistrés au CHU, ce seuil a été dépassé de manière exponentielle. Pour les spécialistes, cela ne laisse aucun doute : il s’agit d’intoxications sévères, dont les conséquences peuvent être immédiates, permanentes et parfois fatales.
Le plomb est un métal lourd connu pour ses effets neurotoxiques. S’il est dangereux pour les adultes, il est dévastateur chez les bébés dont le système nerveux est encore en formation. L’exposition à ce type de toxique peut provoquer une anémie soudaine, des convulsions, un coma profond et, dans les cas les plus graves, entraîner la mort. Lorsque l’enfant parvient à survivre, les séquelles risquent d’être irréversibles. Les médecins rappellent que le plomb peut causer un retard de croissance, des troubles du comportement, une baisse des capacités intellectuelles et des lésions neurologiques permanentes.
Le Khôl, produit traditionnellement utilisé autour des yeux, est connu pour contenir du plomb dans de nombreuses versions locales, notamment celles fabriquées artisanalement. Cependant, dans certaines régions et communautés, la pratique consistant à administrer ce produit par voie orale perdure encore. On le donne parfois aux bébés dans l’espoir de les « renforcer », d’améliorer leur digestion ou de prévenir certaines maladies, selon des croyances anciennes profondément ancrées. Pour les médecins du CHU, cette habitude représente aujourd’hui un véritable danger sanitaire qui menace directement la vie des nourrissons.
Le service de toxicologie de Bab El Oued a donc tenu à s’adresser non seulement aux familles mais aussi aux tradipraticiens et aux personnes qui promeuvent ces usages traditionnels. Le message est clair : l’administration orale de Khôl doit cesser immédiatement. Les spécialistes insistent sur le fait qu’aucune croyance ou justification culturelle ne peut prévaloir face à un risque aussi élevé. L’innocence d’un geste transmis de génération en génération ne doit pas masquer la réalité toxique du produit.
Cette situation dramatique montre une fois de plus la nécessité d’intensifier les campagnes de sensibilisation sur la santé infantile. Dans un pays où certaines pratiques traditionnelles continuent de coexister avec la médecine moderne, il devient urgent d’informer davantage les parents, surtout les jeunes couples, qui peuvent être tentés de suivre les conseils de l’entourage sans se douter des dangers encourus. Les professionnels de santé, quant à eux, plaident pour une vigilance accrue et pour une collaboration plus étroite entre les institutions médicales, les associations et les autorités sanitaires.
Pour beaucoup d’observateurs, cette alerte du CHU Bab El Oued doit être perçue comme un avertissement national. Les cas recensés ne représentent probablement qu’une partie du problème, car certaines intoxications légères peuvent passer inaperçues ou être mal diagnostiquées. La prévention apparaît donc comme la seule réponse durable : il s’agit d’interdire catégoriquement l’usage oral du Khôl chez les nourrissons, de contrôler davantage les produits présents sur le marché et de renforcer l’éducation sanitaire au sein des familles.
Le décès du nourrisson de 14 mois, ainsi que l’état critique des autres enfants hospitalisés, rappellent de manière cruelle que des pratiques d’un autre temps, même lorsqu’elles sont faites avec de bonnes intentions, peuvent avoir des conséquences dramatiques. Protéger les enfants signifie rompre définitivement avec ces habitudes dangereuses et privilégier les recommandations médicales fondées sur des données scientifiques. Aujourd’hui plus que jamais, les médecins appellent à la mobilisation collective pour mettre fin à ces intoxications évitables et sauver des vies innocentes en Algérie.