La France se retourne contre Bruno Retailleau

Bruno Retailleau Algérie France

En quelques jours, la situation politique de Bruno Retailleau a basculé. Le ministre de l’Intérieur, en position de force au sein du gouvernement et favori pour prendre la tête des Républicains, fait aujourd’hui face à une salve de critiques, y compris au sein de sa propre famille politique. En cause, la lenteur avec laquelle il a réagi sur le terrain après le meurtre d’Aboubakar Cissé, un jeune Malien d’une vingtaine d’années, poignardé à mort dans une mosquée du Gard vendredi dernier. Alors que la gravité de l’acte, survenu en un lieu de culte, aurait appelé une mobilisation immédiate, Bruno Retailleau n’a mis les pieds dans le département que plus de 48 heures après le drame, suscitant incompréhensions et tensions jusque dans les rangs de la droite.

Si le ministre a rapidement condamné l’attaque sur les réseaux sociaux, qualifiant l’acte de « violence barbare », son absence physique prolongée dans le Gard a choqué, notamment à cause du profil inquiétant du suspect. Arrêté en Italie, ce dernier a révélé des motivations particulièrement sombres, renforçant le sentiment d’urgence qu’aurait dû inspirer la situation. Pour Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France et pourtant soutien déclaré de Retailleau pour la présidence des LR, le verdict est sans appel : il fallait se rendre sur les lieux immédiatement, d’autant plus que le ministre de l’Intérieur porte aussi la responsabilité des cultes. Une fonction qui, dans un tel contexte, exigeait une réaction à la hauteur de l’émotion collective.

Sous pression, Bruno Retailleau a tenté de réparer la situation en exprimant dimanche un message de compassion à la communauté musulmane du Gard, évoquant la mort « dans des conditions absolument ignobles » d’un homme qui « priait son dieu ». Pourtant, dans les cercles proches de Laurent Wauquiez, son principal rival pour la présidence des Républicains, on souligne un agenda surchargé dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, terre d’influence de Wauquiez. Entre visites de commissariats, inaugurations de casernes et réunions militantes, Retailleau n’aurait, selon ses détracteurs, pas priorisé l’essentiel. Ce détail, non anodin, alimente le reproche principal : on ne peut pas être à la fois ministre de l’Intérieur et candidat politique actif sans risquer de graves fautes d’appréciation.

À droite, de nombreux responsables commencent à murmurer que la double casquette portée par Bruno Retailleau est devenue intenable. Le ministère de l’Intérieur, où chaque instant peut exiger une décision capitale, ne souffre aucune demi-mesure. Certains rappellent que dans d’autres cas récents, Retailleau avait su annuler des déplacements pour respecter ses devoirs ministériels, notamment lors de l’hommage au CRS mort en opération à Tarbes. La différence ici est notable : la journée passée en territoire Wauquiez, où se concentrent 20 % des adhérents LR, semble avoir prévalu sur l’urgence nationale. Un élu LR neutre dans la course interne observe que, si Retailleau a finalement rencontré la communauté religieuse, la lenteur de son déplacement a laissé des traces profondes.

Même parmi les soutiens traditionnels de Bruno Retailleau, la défense est timide. Julien Dive, député LR favorable au ministre, minimise en parlant d’une « polémique à deux sous », mais l’ambiance reste lourde. Au sein de la macronie, avec qui LR gouverne désormais, les critiques sont plus franches. Prisca Thévenot, députée et ancienne porte-parole du gouvernement, déplore que Retailleau ait « privilégié sa casquette de candidat » au détriment de sa fonction de ministre des cultes. Si Sophie Primas, aujourd’hui porte-parole du gouvernement et ex-proche du ministre, a tenté de calmer le jeu en défendant l’absence de retard dans la réaction de Retailleau, l’impression d’un malaise grandissant demeure palpable.

Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, certains membres de la majorité rappellent que des échecs sur des dossiers techniques comme l’immigration peuvent passer, mais qu’un faux pas sur « le terrain des valeurs » marque durablement l’opinion. À gauche, les critiques sont encore plus sévères. Manuel Bompard, leader des insoumis, et Fabien Roussel, patron des communistes, dénoncent une forme de « deux poids, deux mesures », estimant que la réaction aurait été différente s’il s’était agi d’un crime antisémite plutôt que d’un meurtre contre un musulman. La charge politique est lourde et montre que, malgré des tentatives de justification, l’attitude de Bruno Retailleau restera dans les mémoires comme une sortie de route à un moment crucial.

Dans ce contexte, l’homme qui ambitionnait de rassembler la droite et de conforter son image de garant de l’ordre et des valeurs républicaines se retrouve fragilisé. Cette séquence, marquée par un déficit de présence et des priorités contestées, risque d’avoir des répercussions profondes sur son avenir politique. Alors que l’enquête sur le meurtre d’Aboubakar Cissé se poursuit et que les tensions sociétales restent vives, Bruno Retailleau devra redoubler d’efforts pour restaurer sa crédibilité aux yeux de ses pairs et, plus largement, de l’opinion publique.