Dans un contexte économique marqué par des tensions sur les devises et des défis structurels, la décision de l’État algérien d’augmenter l’allocation touristique à 750 euros par an suscite de nombreuses réactions. Hocine Sam, docteur en économie et maître de conférences à l’Université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, livre son analyse sur cette mesure à El Watan. Au-delà de son impact immédiat pour les voyageurs, il y voit une offensive stratégique contre le marché parallèle et une tentative de régulation financière. Retour sur ses déclarations marquantes et ses propositions.
En augmentant l’allocation touristique, l’État entend offrir aux citoyens un accès facilité aux devises, tout en réduisant leur recours au marché informel. « Cette décision est tout de même une bonne nouvelle pour ceux qui effectuent au moins un voyage par an à l’étranger afin qu’ils puissent avoir un montant de devise sans passer par le marché parallèle non réglementé, extrêmement coûteux et risqué », affirme Hocine Sam.
Le marché informel des devises, dominant depuis des décennies, trouve son origine dans une réglementation de change rigide et une demande croissante de devises, émanant aussi bien des ménages que des opérateurs économiques. En contrant ce marché, l’État ambitionne de réduire les pratiques illicites et de protéger les citoyens des fluctuations exorbitantes des taux pratiqués dans l’informel.
L’allocation touristique, une offensive contre le marché informel
L’une des principales intentions de cette mesure est de combattre les transactions parallèles en devises et les pratiques illégales telles que le blanchiment d’argent. « Une telle décision est une offensive contre les transactions parallèles en devises proprement dites et le commerce illégal ainsi que le blanchiment d’argent. », a-t-il affirmé. Toutefois, le docteur en économie prévient que son application doit être encadrée avec prudence. « Il serait plus judicieux d’appliquer cette mesure avec un plus de prudence et de rationalité, afin d’éviter aux banques commerciales des situations indésirables, à savoir la course à la devise », explique-t-il.
En effet, une forte demande de devises pourrait entraîner des spéculations sur le marché officiel. Les citoyens, attirés par des taux officiels avantageux, pourraient être tentés d’acquérir des devises pour les revendre à des prix plus élevés dans le circuit parallèle. Cela risque de provoquer une indisponibilité des fonds dans les banques, alimentant ainsi des tensions économiques et sociales.
Les défis des réserves de change
Hocine Sam insiste sur la nécessité de protéger les réserves de change du pays, particulièrement en cas de baisse des recettes pétrolières. « En cas de chute des recettes fiscales pétrolières, on renouera très certainement avec les déficits de la finance publique et la détérioration des réserves de change », avertit-il. Il rappelle que ces réserves sont gérées exclusivement par la Banque d’Algérie, dont les décisions doivent tenir compte des scénarios défavorables à moyen et long terme.
La fragilité de l’économie algérienne, fortement dépendante des hydrocarbures, expose le pays à des risques accrus en cas de fluctuations sur les marchés mondiaux. Dans un tel contexte, maintenir l’augmentation de l’allocation touristique pourrait devenir difficile, voire contre-productif, si les réserves de change venaient à diminuer drastiquement.
Sur la dévaluation de la monnaie nationale
Un autre sujet abordé par Hocine Sam est celui de la dévaluation du dinar, un levier souvent utilisé pour rétablir les équilibres économiques. Selon lui, « la dévaluation de la monnaie n’est pas une fatalité en soi, elle fait partie des politiques de change qui viennent en réponse aux objectifs de stabiliser ou protéger la monnaie nationale et réduire, un tant soit peu, les déficits commerciaux. »
Cependant, dans le contexte algérien, où l’appareil productif est encore limité, la dévaluation pourrait avoir des effets pervers. Elle risquerait d’accroître l’inflation, de réduire le pouvoir d’achat et d’alourdir les coûts des importations. Pour éviter de tels écueils, le pays doit investir dans une production nationale capable de répondre aux besoins internes et de concurrencer les produits étrangers sur les marchés internationaux.
Les bureaux de change : une alternative ?
L’ouverture des bureaux de change est perçue comme une avancée majeure pour réguler le marché des devises. « Ces structures resteront néanmoins contrôlées par la Banque d’Algérie, c’est-à-dire suivies d’une réglementation stricte et rigoureuse pour éviter la fuite des capitaux à l’étranger, d’un côté, et le blanchiment d’argent, de l’autre », précise Hocine Sam. Cependant, il souligne que cette initiative ne peut suffire à elle seule. Une véritable relance de la sphère économique réelle est nécessaire pour garantir une stabilité durable.
Un modèle de croissance à repenser
Pour Hocine Sam, l’Algérie doit aller au-delà des solutions ponctuelles et s’engager dans une réforme structurelle de son économie. « La stabilité de ce marché passe par un véritable redémarrage de la sphère réelle : repenser les modes d’organisation, de fonctionnement et de gouvernance des secteurs productifs », estime-t-il.
Il propose de diversifier l’économie en s’appuyant sur des secteurs stratégiques tels que l’agriculture et les énergies renouvelables. Le secteur agricole, par exemple, peut contribuer à réduire les importations et à rétablir l’équilibre de la balance des paiements. Quant à la transition énergétique, elle représente une opportunité de diminuer la dépendance aux hydrocarbures et de répondre aux défis écologiques.
Une vision à long terme
Pour conclure, Hocine Sam plaide pour une vision stratégique et coordonnée, impliquant tous les acteurs économiques. « Il est temps de passer à la restructuration pour asseoir une véritable stratégie de production locale de qualité qui s’acheminera vers les marchés tant nationaux qu’internationaux », déclare-t-il. Cela exige des investissements dans l’innovation, une gouvernance transparente et une mobilisation des talents locaux.
L’augmentation de l’allocation touristique, bien qu’importante, ne doit être qu’un premier pas vers une transformation globale de l’économie algérienne. En diversifiant ses sources de revenus, en modernisant ses secteurs productifs et en renforçant la compétitivité nationale, l’Algérie peut espérer s’inscrire dans une dynamique de croissance durable et inclusive.
Lire également :
Déclaration de devises en Algérie : une douanière explique la nouvelle méthode (Vidéo)
Aéroport d’Alger : à peine arrivé, le nouveau service Airport Shuttle déja décrié
Retraite, CNR : comment renouveler ses droits via « Takaoudi » ?