Le 28 avril 2025, un geste diplomatique lourd de sens a été posé par le Roi du Maroc, Mohammed VI, en recevant au palais royal de Rabat les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger et du Burkina Faso, membres de l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette rencontre n’a pas donné lieu à des annonces concrètes, mais a réaffirmé, selon le communiqué officiel marocain, l’adhésion des trois ministres au projet marocain d’offrir un accès à l’océan Atlantique aux pays sahéliens enclavés. Un geste du Roi du Maroc interprété largement comme une provocation à l’encontre de l’Algérie, qui voit dans ce rapprochement une nouvelle manifestation d’hostilité dans un climat géopolitique déjà tendu.
Ce rendez-vous diplomatique, illustré par une photo largement relayée par les agences de presse marocaines, montre le roi entouré des trois diplomates sahéliens : Abdoulaye Diop (Mali), Bakary Yaou Sangaré (Niger) et Karamoko Jean-Marie Traoré (Burkina Faso). Bien que l’Algérie n’ait été mentionnée ni dans les déclarations marocaines, ni dans celles des représentants de l’AES, l’arrière-plan politique du sommet ne laisse que peu de place au doute sur le message implicite adressé à Alger. Les observateurs avertis y voient une tentative de Rabat de renforcer son influence au Sahel au détriment d’une Algérie traditionnellement très active dans cette région d’Afrique.
Le projet d’ouverture vers l’Atlantique, qui passerait par le port de Dakhla situé dans le Sahara occidental, est particulièrement sensible. L’Algérie, soutien de longue date du Front Polisario qui milite pour l’indépendance de ce territoire, voit ce projet d’infrastructure comme une consolidation de la prétendue souveraineté revendiquée par le Maroc sur la région. Ce dernier cherche à inscrire le Sahara occidental dans une dynamique de développement régional, ce qui serait facilité par la coopération de pays comme le Burkina Faso, le Niger et le Mali.
Officiellement, les trois États de l’AES n’ont pas encore reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et maintiennent leur position alignée sur celle des Nations unies. Cependant, des signes d’alignement idéologique commencent à émerger, notamment du côté du Burkina Faso, qui a exprimé à plusieurs reprises sa proximité avec la vision marocaine. Ce climat diplomatique n’est pas sans conséquence sur les relations entre Alger et les régimes militaires sahéliens.
Le contexte de tension est exacerbé par un incident survenu le 1er avril 2025, lorsque l’armée algérienne a abattu un drone malien à la frontière entre les deux pays. Cet acte a provoqué une réaction immédiate des trois capitales sahéliennes, qui ont rappelé leurs ambassadeurs en poste à Alger. L’Algérie a répondu par une mesure similaire, signe d’une escalade inquiétante. Dans les jours qui ont suivi, le Mali a fermé son espace aérien aux vols algériens, une mesure que Niamey et Ouagadougou n’ont toutefois pas adoptée.
Ce climat délétère entre l’Algérie et l’Alliance des États du Sahel crée un terrain propice pour Rabat, qui entend capitaliser sur l’isolement croissant d’Alger dans cette partie de l’Afrique. La réception solennelle des ministres de l’AES par le roi lui-même renforce cette stratégie d’influence, en mettant en avant une coopération Sud-Sud active et symbolique. Le Maroc entend se positionner comme un partenaire clé pour les pays du Sahel, à travers des projets structurants à fort impact géostratégique.
Le choix du roi Mohammed VI d’orchestrer personnellement cette rencontre ne doit rien au hasard. Dans une région marquée par des recompositions diplomatiques rapides, cette réception organisée par le Roi vise à installer durablement le Maroc comme un acteur incontournable au Sahel, quitte à aggraver les tensions avec l’Algérie. Cette dernière, piquée mais non nommée, se retrouve mise en cause sans affront direct, une méthode de communication typique dans les relations diplomatiques tendues. Les jours à venir permettront sans doute d’observer comment Alger réagira à cette nouvelle alliance implicite qui se dessine aux frontières du Maghreb.