Depuis plusieurs mois, l’allocation touristique de 750 euros accordée aux voyageurs algériens fait l’objet d’un détournement organisé vers le marché noir des devises. Ce phénomène a pris une ampleur telle que les autorités ont décidé d’introduire de nouvelles mesures de contrôle aux frontières. Depuis dimanche, les bus transportant des touristes algériens vers la Tunisie sont désormais obligés de présenter une autorisation internationale de transport pour pouvoir franchir la frontière, alors qu’une simple licence touristique suffisait jusque-là. Cette décision vise clairement à ralentir la ruée vers cette allocation en devises devenue un levier majeur de spéculation.
Le mécanisme utilisé repose sur un système bien rodé, impliquant des intermédiaires qui recrutent des groupes entiers de voyageurs, en grande majorité parmi les jeunes chômeurs. Ces derniers se voient proposer des voyages organisés vers la Tunisie, financés intégralement par l’allocation touristique. Le procédé commence par la collecte des passeports des candidats au départ, parfois même de mineurs, afin de déposer les demandes de droit de change auprès des banques, comme l’a révélé le journal El Khabar dans son édition du mardi 9 décembre, citant des sources bien informées.
Dans certains cas, les intermédiaires vont encore plus loin en prenant à leur charge les frais de délivrance des passeports, tout en avançant en dinars algériens l’équivalent du montant de l’allocation à ceux qui n’ont pas les moyens financiers. L’accord est établi à l’avance entre les voyageurs recrutés, appelés communément « les troupeaux », et les intermédiaires. Ces derniers conservent les passeports comme garantie afin de s’assurer que l’opération ira jusqu’à son terme.
Le jour du voyage, les détenteurs des passeports récupèrent chacun la somme de 750 euros à la frontière, conformément à la législation en vigueur, puis poursuivent leur route vers la Tunisie. Une fois sur place, la majorité des participants se limite à un séjour dans des villes proches de la frontière algérienne afin de réduire au maximum les dépenses durant les sept jours réglementaires imposés pour l’obtention du droit de change.
Selon le témoignage d’un Algérien résidant en Tunisie, rapporté par le même journal, l’intermédiaire se charge généralement de louer un appartement bon marché pour héberger les participants durant toute la semaine. L’objectif est clair : réduire au maximum les frais afin de conserver la plus grande part possible des devises obtenues.
Au retour en Algérie, une fois les frais de l’intermédiaire et sa marge bénéficiaire déduits, le reste des euros est directement écoulé sur le marché noir des devises, où le taux de change parallèle offre un avantage considérable. Actuellement, un euro s’échange autour de 280 dinars algériens sur le marché parallèle, contre environ 150 dinars à la banque, ce qui représente un écart très important et particulièrement attractif pour ce type d’opérations.
Bien que cette méthode apparaisse légale en surface, dans la mesure où les bénéficiaires respectent formellement les étapes du droit de change, elle est en réalité totalement contraire à la réglementation de la Banque d’Algérie. Cette dernière considère ces pratiques comme une manœuvre manifeste de déviation de l’usage réel de l’allocation touristique. D’ailleurs, ce type de fraude figure explicitement parmi les pratiques dénoncées par la Banque d’Algérie dans son dernier rappel à l’ordre concernant le respect strict du droit de change.
Face à cette situation, le renforcement des contrôles sur les transports vers la Tunisie marque une première réponse concrète des autorités pour tenter d’endiguer ce détournement massif. L’objectif est désormais de freiner une filière qui, sous couvert de voyages touristiques, alimente directement le marché parallèle des devises, avec toutes les conséquences économiques que cela implique. Cette affaire met en lumière les limites du dispositif actuel de l’allocation touristique, ainsi que les défis que pose la lutte contre les circuits informels dans un contexte de forte pression sur le marché des devises.