Dans une affaire qui a tenu en haleine les milieux de l’énergie et de la finance, l’Algérie a fini par imposer sa position. Le groupe émirati Taqa, qui convoitait une entrée significative dans le capital du géant espagnol Naturgy, a finalement jeté l’éponge. Cette décision intervient après plusieurs mois de négociations discrètes et de tentatives d’acquisition qui n’ont pas su contourner les réserves formulées, en coulisses, par l’Algérie. Dans ce dossier, Naturgy représentait pour les Émirats une cible stratégique, notamment dans leur volonté d’étendre leur influence sur le marché gazier européen, mais l’Algérie, qui détient une part du capital de Naturgy, n’a jamais caché ses réticences à voir un acteur tiers s’immiscer dans un secteur aussi sensible.
Le directeur financier du groupe Taqa, Steve Ridlington, a lui-même reconnu l’impasse. Dans une déclaration relayée par plusieurs journaux espagnols, il affirme que le projet de rachat d’actions dans Naturgy ne fait plus partie des priorités du groupe. Ce retrait confirme que les Émirats n’ont pas su convaincre ni les actionnaires actuels de Naturgy, ni les partenaires stratégiques comme l’Algérie, qui veille de près à tout changement de gouvernance pouvant affecter les accords d’approvisionnement en gaz. Pour Alger, toute modification dans la structure dirigeante de Naturgy devait automatiquement soulever la question des contrats en cours, ce qui n’arrangeait ni les Émirats, ni les Espagnols.
La position de l’Algérie dans cette affaire n’a jamais été officiellement exprimée, mais plusieurs responsables proches de la Sonatrach ont, à travers des déclarations dans la presse internationale, laissé entendre qu’un changement d’équilibre au sein de Naturgy, surtout sous l’impulsion des Émirats, risquait de remettre en cause la stabilité des relations énergétiques entre l’Algérie et l’Espagne. Ce bras de fer autour de Naturgy illustre bien les tensions silencieuses entre l’Algérie et les Émirats sur des dossiers où les intérêts économiques se mêlent à des enjeux d’influence.
Le projet initial des Émirats visait à racheter les parts de deux grands fonds internationaux, CVC et BlackRock, qui détiennent ensemble plus de 40 % du capital de Naturgy. Cette acquisition aurait permis au groupe Taqa de prendre le contrôle du conseil d’administration de l’entreprise espagnole. Mais l’Algérie, bien que minoritaire avec environ 4 % des parts de Naturgy, a su faire entendre son désaccord de manière suffisamment ferme pour faire capoter l’opération. Les Émirats, en retirant leur offre, reconnaissent ainsi que l’opposition d’un partenaire aussi stratégique que l’Algérie peut suffire à bloquer un projet d’envergure.
Aujourd’hui, les Espagnols se retrouvent à la recherche d’un investisseur de long terme, alors que Naturgy reste un acteur clé dans la distribution du gaz naturel en Europe. Cette situation relance le débat en Algérie sur l’opportunité, pour la Sonatrach, d’augmenter sa participation dans Naturgy. Certains experts, comme Mourad Preure, voient là une occasion pour l’Algérie de consolider sa position sur le marché énergétique européen. Selon lui, au-delà de Naturgy, l’Algérie pourrait aussi envisager d’entrer dans le capital d’autres groupes européens. Une stratégie qui permettrait à l’Algérie non seulement de sécuriser ses exportations, mais aussi de peser davantage sur les grandes décisions dans le secteur.
La question d’un rachat partiel ou total de parts supplémentaires dans Naturgy par l’Algérie reste ouverte, mais elle soulève déjà des réflexions au plus haut niveau. Des économistes évoquent même la création d’une commission dédiée au suivi des opérations de fusion et acquisition dans le secteur énergétique européen. Pour l’Algérie, ce serait une façon de ne pas subir les décisions prises ailleurs, mais au contraire, de prendre part à la gouvernance de groupes comme Naturgy, où se dessinent l’avenir des marchés gaziers et des relations stratégiques avec l’Europe.