Un scandale d’une ampleur inédite mêlant technologie, corruption et documents officiels secoue la justice algérienne et interpelle les autorités françaises. Ce mercredi 30 avril, un réseau structuré de falsification du passeport biométrique algérien destiné à des ressortissants en situation irrégulière en France comparait devant le tribunal de Dar El Beïda. L’affaire, traitée par le pôle national pénal spécialisé dans la lutte contre les crimes informatiques, dévoile les rouages d’une organisation bien huilée mêlant complicité administrative, abus de fonction et trafic de données confidentielles.
Ce sont quinze individus, parmi lesquels figurent des employés de la commune de Khenchela, qui seront appelés à répondre de faits gravissimes. Selon Echourouk, ces agents municipaux, dont un ingénieur en informatique identifié comme « K.Aymen », auraient permis la fabrication de faux passeports contre des sommes allant jusqu’à 2500 euros. Le stratagème reposait sur l’usage détourné du Guichet Électronique du ministère de l’Intérieur algérien, système officiel censé garantir la sécurité des documents biométriques. Or, les données personnelles des demandeurs étaient introduites dans l’application sans que ces derniers ne soient physiquement présents, ce qui contrevient gravement aux procédures établies.
Parmi les bénéficiaires de ces documents figurent non seulement des harragas algériens installés illégalement en France, mais aussi des individus recherchés par des mandats d’arrêt internationaux. C’est dire la gravité des implications de cette affaire. L’origine de l’enquête remonte au 19 juillet 2024, lorsqu’un compte Snapchat au pseudonyme évocateur waliddz24 a attiré l’attention des services spécialisés. Ce compte proposait, en toute impunité, la livraison de passeports algériens authentiques contre rémunération. En creusant, les enquêteurs ont découvert que l’administrateur du compte, un Algérien en fuite et basé à Marseille, utilisait les plateformes WhatsApp et une adresse mail spécifique, amirlocation93@gmail.com, pour centraliser les demandes. Photos, informations d’identité, documents numérisés, tout y était envoyé discrètement depuis la France.
Une fois les données en main, elles étaient acheminées à Khenchela, où « K.Aymen », en lien direct avec son frère basé à Marseille, intervenait dans le système de délivrance du passeport algérien. À trois reprises au moins, des passeports ont été créés sans que les bénéficiaires ne soient physiquement identifiés, ni qu’aucun dossier papier ne soit déposé. Une entorse majeure aux normes de sécurité nationale. Plus surprenant encore, les documents n’étaient ni livrés à domicile, ni récupérés en mairie : ils étaient déposés dans un simple magasin de quincaillerie, installé sur la route d’El Aïzar. Ce lieu improbable servait de relais pour la remise des passeports à des tiers chargés de les transmettre aux clients finaux.
Passeport algérien : un mis en cause passe aux aveux
Lors de son interrogatoire, « K.Aymen » a admis avoir agi sur instructions de son frère en exil. Il a reconnu avoir généré trois passeports illégaux pour des Algériens installés en France de manière clandestine. L’enquête, en s’élargissant, a mené les forces de l’ordre à fouiller son agence de location de voitures, jouxtant la mairie de Khenchela. C’est là que 60 passeports, en attente de distribution à leurs véritables titulaires, ont été retrouvés. Cette découverte laisse craindre que le réseau ait pu opérer à une échelle encore plus vaste.
L’acte d’accusation est lourd : association de malfaiteurs, corruption, abus de fonction, usage frauduleux de système informatique, faux et usage de faux documents de voyage. L’affaire est désormais entre les mains du tribunal compétent, et les chefs d’inculpation s’appuient sur plusieurs articles du code pénal algérien, de la législation anti-corruption et de la loi sur la cybercriminalité.