Dans l’enceinte solennelle du tribunal correctionnel de Bir Mourad Rais à Alger, un homme autrefois au cœur des cercles du pouvoir se retrouve désormais sur le banc des accusés. Mohamed Bouakkaz, ex-conseiller à la Présidence de la République et chef du protocole, vit un retournement de destin brutal. Placé sous mandat de dépôt le 11 octobre 2024, après avoir été limogé pour « fautes graves et manquement à la déontologie » selon un communiqué officiel, il est aujourd’hui poursuivi pour des faits lourds : enrichissement illicite et abus de fonction. À la clef, une peine de dix années de réclusion criminelle a été requise contre lui.
Mohamed Bouakkaz, quadragénaire diplômé de l’École nationale d’administration, est un enfant de Bourouba, quartier populaire d’Alger. Durant sa carrière, il a gravi les échelons jusqu’à atteindre un poste de haute responsabilité. Entre 2020 et 2024, il a dirigé le protocole présidentiel, organisant des événements d’envergure comme le sommet de la Ligue arabe en 2023 ou celui du gaz en mai 2024. Il affirme avoir mené sa mission avec « abnégation » malgré une santé vacillante, marquée par une tumeur cérébrale diagnostiquée en 2021. Face au juge, il ne cache pas son amertume : « Je suis traumatisé. J’ai fait une dépression en détention. Je suis innocent », martèle-t-il.
Mais la justice le confronte à des faits concrets, en particulier la possession et la revente présumée de montres Rolex reçues « en cadeau ». Ces montres, dont la valeur dépasse les 5 millions de dinars l’unité, auraient été écoulées sur le marché. À cette accusation, Bouakkaz oppose un déni ferme. Il évoque un procès-verbal d’audition signé à quatre heures du matin, dans des conditions qu’il juge discutables. Selon lui, aucune disposition réglementaire n’a été violée.
Autre point sensible : son patrimoine immobilier. Des biens acquis entre 2007 et 2022 suscitent la suspicion des enquêteurs. Un appartement à Draria, un pavillon à Chevalley, un logement à Bir Mourad Rais, une carcasse à Boumerdes… À chaque fois, Bouakkaz développe une chronologie précise, évoquant des crédits bancaires, des ventes de véhicules ou des aides de ses proches. Pour lui, tout est traçable, déclaré et légitime. « Avec les frais de mission que je recevais, entre 20 000 et 30 000 euros par an, ne puis-je pas acheter un logement ? », lance-t-il au tribunal.
Les montants en jeu ne sont pas anecdotiques. L’affaire du transfert de 10 millions de dinars confiés à un ami, Merzak Rouidjali, intrigue particulièrement. Selon ce dernier, Mohamed Bouakkaz lui aurait demandé de cacher cette somme après la fin de sa mission, par crainte d’une perquisition. L’accusé, lui, donne une autre version : l’argent appartenait aux parents de son épouse, destiné au pèlerinage. Un contexte familial, dit-il, justifie ce dépôt temporaire. « Rouidjali était un ami de confiance », ajoute-t-il. L’explication peine toutefois à convaincre complètement.
Le juge interroge également l’épouse du prévenu, qui fut entendue par le juge d’instruction. Elle avait alors reconnu que son mari avait vendu cinq Rolex. À la barre, elle rétropédale. Elle explique être en pleine procédure de khol’â (divorce) au moment de son audition, et affirme ne pas avoir eu connaissance réelle de l’existence des montres. « Je ne savais pas ce que je disais », avoue-t-elle en réponse à l’accusation d’avoir voulu « enfoncer » son mari. Sur les 10 millions de dinars confiés à Rouidjali, elle insiste : il s’agit d’un fonds familial, confié à son mari pour raison de sécurité avant leur départ pour le hadj.
Le débat se poursuit sur les flux financiers utilisés pour l’achat des biens. Pourquoi du cash ? Le prévenu explique que les procédures imposées par l’ENPI (Entreprise nationale de promotion immobilière) exigeaient des paiements directs en espèces, via les banques, pour des raisons de bordereaux. Il rejette l’illégalité présumée de ces opérations : « Si c’était interdit, les banques ne l’auraient pas accepté ».
Sur les fameux montants en devises retrouvés à son domicile – 29 700 dollars et 4 000 euros – la réponse du prévenu fait sourire certains dans la salle. « Cet argent était dans les tirelires de mes deux enfants. Leurs noms étaient inscrits dessus », lance-t-il. Le juge, impassible, prend note. Mais l’incongruité de cette défense ne passe pas inaperçue. Bouakkaz martèle que tout son patrimoine est le fruit d’un labeur honnête, combiné au soutien de son épouse, de sa belle-famille et de ses économies personnelles.
Durant l’audience, les souvenirs d’un homme autrefois proche du sommet de l’État s’opposent aux accusations d’un système judiciaire qui le soupçonne d’avoir abusé de son statut. « J’ai été conseiller à la Présidence. Mon poste était plus important que celui d’un ministre de souveraineté », affirme-t-il avec fierté, comme pour rappeler l’importance de son rôle dans la machine étatique. Pour lui, cette affaire est une injustice. Une machination, peut-être. Mais pour l’accusation, les éléments sont là : une accumulation de signes extérieurs de richesse incompatibles, selon les enquêteurs, avec ses revenus officiels.
La peine requise contre Mohamed Bouakkaz est lourde : dix ans de prison. Une sanction qui, si elle est confirmée, marquera un coup de tonnerre dans les cercles du pouvoir algérien. Le procès de Mohamed Bouakkaz, bien plus qu’un simple dossier judiciaire, résonne comme un symbole : celui d’une ère où certains responsables, autrefois intouchables, doivent désormais répondre devant la justice. Le verdict attendu dans les prochains jours, à savoir le 24 avril, pourrait, selon les observateurs, donner le ton à d’autres affaires similaires.
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