Prêt immobilier, se marier : les droits surprenants des OQTF en France

Comment faire quand on a une OQTF

En France, la délivrance d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) n’équivaut pas à une disparition immédiate des droits fondamentaux. Sur les 140 000 OQTF émises en 2024, seules 20 000 ont effectivement abouti à un départ, selon Didier Leschi, directeur général de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), interrogé par Cnews. Ce chiffre met en lumière un fossé entre les décisions administratives et leur application concrète, mais surtout, il révèle une réalité méconnue : les personnes sous OQTF, tant qu’elles ne sont pas expulsées, conservent un certain nombre de droits parfois inattendus, qui peuvent transformer leur trajectoire en France.

Parmi ces droits, d’après Cnews, le plus étonnant reste sans doute la possibilité d’acheter un bien immobilier. La loi française n’exige en effet aucun titre de séjour pour acquérir un logement. Ni la banque, ni le notaire n’ont d’obligation légale de vérifier la régularité du séjour d’un acheteur. Cela signifie que même en étant sous le coup d’une OQTF, un individu peut contracter un prêt immobilier, signer un acte notarié et devenir propriétaire. Une situation dénoncée par certains élus, dont le sénateur Les Républicains Alain Joyandet, qui milite pour que le notaire ait l’obligation de demander un justificatif de séjour valide lors de toute transaction immobilière. En attendant un éventuel changement législatif, cette possibilité reste bien réelle.

Se marier en France sans titre de séjour est également possible. La loi française permet le mariage civil même en l’absence de régularité administrative. C’est cette disposition qui avait suscité une vive polémique en 2023, lorsque le maire de Béziers, Robert Ménard, avait refusé de célébrer l’union entre une Française et un ressortissant algérien sous OQTF, qualifiant la situation d’« ubuesque ». Pourtant, la loi n’exige aucun titre de séjour pour se marier. Ce droit, pour l’instant protégé, fait l’objet d’une proposition de loi portée par le sénateur centriste Stéphane Demilly, visant à interdire le mariage aux étrangers en situation irrégulière. Voté au Sénat, ce texte est désormais en attente d’examen à l’Assemblée nationale.

D’autres droits suscitent tout autant de débat. Les personnes sous OQTF restent éligibles à l’Aide Médicale d’État (AME), un dispositif qui permet une prise en charge à 100 % des soins médicaux et hospitaliers dans la limite des tarifs de la sécurité sociale. Ce droit, bien que souvent critiqué dans le débat public, repose sur le principe d’un accès aux soins pour toute personne vivant sur le territoire, quel que soit son statut administratif.

Un autre point souvent ignoré concerne l’éducation supérieure. Rien, dans les textes actuels, n’interdit à une personne faisant l’objet d’une OQTF de s’inscrire à l’université. Les critères d’admission reposent uniquement sur les compétences académiques, les diplômes obtenus, le niveau de français et la solidité du projet d’étude. Tant que ces éléments sont réunis, un étudiant sous OQTF peut être admis dans un établissement supérieur en France. Ce droit, bien que rarement évoqué, a permis à certains de poursuivre leur parcours universitaire malgré une situation administrative incertaine.

Tous ces actes – se marier, acheter un logement, s’inscrire à l’université, bénéficier de soins – ne sont pas uniquement des droits en eux-mêmes : ils peuvent aussi, selon les cas, ouvrir la voie à une régularisation. Me Vanessa Edberg, avocate spécialisée dans le droit des étrangers, explique que « entre le moment où cette OQTF est délivrée et le moment où toutes les lois de recours sont exercées, l’individu continue de vivre, de travailler, d’avoir une vie privée et familiale, et cela lui donne le droit plus tard à l’accès à certains titres de séjour ». Autrement dit, la vie continue, et les événements personnels ou professionnels vécus pendant cette période peuvent peser favorablement lors d’un recours contre l’OQTF ou d’une demande de régularisation.

Le sujet est politiquement sensible. Une proposition récente de Laurent Wauquiez a ravivé les tensions. Il suggérait de transférer les étrangers « dangereux » sous OQTF dans un centre de rétention à Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire français d’outre-mer. La réaction n’a pas tardé. Manuel Valls, alors ministre des Outre-mer, a rappelé que « c’est la France, pas une prison ou un centre de rétention », tandis que Marine Le Pen, chef de file du Rassemblement national, s’est insurgée en déclarant que « les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont pas des sous-citoyens ».

Ce débat met en lumière la complexité du système juridique français. Entre droit et réalité, entre législation et vie quotidienne, les personnes visées par une OQTF évoluent dans un entre-deux juridique où certains droits restent accessibles malgré une injonction de départ. La frontière entre irrégularité administrative et intégration progressive s’avère ainsi plus poreuse qu’il n’y paraît, et continue d’alimenter les discussions politiques et sociales en France.

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