Relations France Algérie : Benjamin Stora présente une solution

Dossier mémoire Benjamin Stora

Dans le cadre d’un entretien accordé au média français Le Monde, l’historien Benjamin Stora est revenu en profondeur sur la crise diplomatique qui affecte les relations entre la France et l’Algérie. Ce spécialiste reconnu de l’histoire franco-algérienne estime que le travail de mémoire sur la colonisation en Algérie est essentiel pour amorcer une sortie de crise durable entre la France et l’Algérie. Selon lui, cette crise n’est pas seulement conjoncturelle, elle s’inscrit dans un cycle long et douloureux, nourri par des décennies de tensions historiques non résolues.

Benjamin Stora, dans son analyse, affirme que « le travail de mémoire sur la colonisation en Algérie est un élément possible de sortie de crise avec la France ». Il ne minimise pas la complexité de la situation, qu’il juge « totalement inédite » dans l’histoire des relations entre la France et l’Algérie depuis l’indépendance de cette dernière en 1962. Pour Benjamin Stora, les racines de cette crise remontent loin, et ne peuvent être soignées uniquement par des symboles. « On ne peut pas régler par un seul discours, par un seul geste, des rapports qui ont duré 132 ans », déclare-t-il, insistant sur la profondeur historique de cette relation conflictuelle.

L’historien évoque notamment les massacres perpétrés par la France entre 1830 et 1880, une période sombre de la colonisation de l’Algérie encore largement méconnue du grand public en France. Cette mémoire, selon Benjamin Stora, ne peut être effacée ou ignorée : « On ne peut pas (…) considérer que cette histoire algérienne est comme toutes les autres histoires », affirme-t-il, soulignant la singularité du passé colonial entre la France et l’Algérie.

La crise actuelle s’est particulièrement intensifiée depuis le 30 juillet 2024, après le soutien du président Emmanuel Macron au plan d’autonomie marocain concernant le Sahara occidental. Ce positionnement a fortement irrité Alger, qui soutient le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui. Benjamin Stora déplore un manque de concertation préalable : « Il aurait fallu peut-être discuter. Ça n’a pas été le cas », confie-t-il, tout en appelant désormais à « avancer pas à pas (…) avec la volonté politique de régler » cette crise.

Le spécialiste rappelle également que les relations entre la France et l’Algérie ont toujours été instables, marquées par des phases de crispations suivies de périodes de dégel. Mais cette fois, « la crise s’installe dans la durée », selon Benjamin Stora, qui considère qu’il s’agit là de « la crise la plus importante depuis l’indépendance de l’Algérie ». Pour lui, la complexité de cette crise réside également dans le fait qu’en France comme en Algérie, « il y a des personnes, des organisations, qui ont intérêt à ce que les choses ne se passent pas toujours très bien ».

Benjamin Stora évoque notamment les discours politiques français axés sur une ligne dure, citant Bruno Retailleau et sa campagne pour la présidence des Républicains, fondée en partie sur une promesse d’« extrême fermeté » vis-à-vis de l’Algérie. De l’autre côté de la Méditerranée, certains acteurs politiques algériens défendent eux aussi la rupture du lien avec la France, bien qu’ils ne soient pas majoritaires. L’historien décrit cette dynamique comme une « flamme d’une mémoire douloureuse » que l’on refuse de laisser s’éteindre.

Il souligne que l’histoire coloniale est encore omniprésente dans la mémoire collective : « C’est un peu comme des fantômes dans les placards. On a tout fermé, tout cadenassé, mais ça s’échappe quand même, la mémoire revient quand même. » Benjamin Stora insiste ainsi sur la nécessité de poursuivre le travail de mémoire, estimant que ce processus est inévitable pour toute amélioration durable des relations entre la France et l’Algérie.

Malgré la profondeur de la crise, Benjamin Stora n’envisage pas une rupture diplomatique formelle entre la France et l’Algérie, compte tenu des liens humains, sociaux et économiques intenses entre les deux pays. « Des centaines de milliers de personnes (…) circulent sans cesse entre la France et l’Algérie ou entre l’Algérie et la France », rappelle-t-il, en soulignant le niveau d’imbrication unique entre les deux sociétés.

Pour sortir de l’impasse actuelle, Benjamin Stora appelle à des « gestes forts », en particulier sur les événements du XIXe siècle, période clé de la colonisation. Mais il précise que ces gestes mémoriels ne suffiront pas sans une volonté politique claire. « Ce serait une sorte de substitut à une reprise de lien politique », ajoute-t-il, insistant sur l’importance cruciale des enjeux contemporains, tels que la question migratoire ou celle des visas. « À mon sens, le point le plus important va être le problème de la circulation des personnes entre les deux rives de la Méditerranée. »

En définitive, l’entretien accordé par Benjamin Stora au média français Le Monde met en lumière la nécessité d’une stratégie à long terme pour apaiser les tensions entre la France et l’Algérie. Le travail de mémoire, qu’il juge « indispensable », reste au cœur de sa proposition pour tourner la page sans effacer l’histoire.