Dans une mise en scène médiatique orchestrée à grande échelle, la France a récemment multiplié les déclarations sur la question des retraites versées à l’étranger, en particulier en Algérie, alimentant ainsi un débat déjà chargé de tensions. Alors que la Cour des comptes française estime que la fraude aux retraites en Algérie pourrait représenter entre 40 et 80 millions d’euros par an, sur un total de 1,1 milliard d’euros versés chaque année, ces chiffres – largement relayés dans les médias – ont suscité des réactions contrastées, notamment en raison du pourcentage marginal des cas frauduleux.
La France, en ciblant l’Algérie pour les contrôles accrus sur les retraites versées à l’étranger, a laissé entendre qu’un phénomène de grande ampleur était à l’œuvre, alors que les données officielles du rapport 2025 de la Cour des comptes indiquent clairement que la fraude détectée ne dépasse pas 5 % des dossiers contrôlés. Dans ce contexte, la mise en scène politique paraît disproportionnée, d’autant que des pays comme le Portugal ou l’Espagne, qui reçoivent respectivement 800 et 500 millions d’euros de pensions françaises, ne font pas l’objet de la même rhétorique médiatique que l’Algérie, pourtant tout aussi légitime dans sa relation bilatérale avec la France en matière de retraites.
Le rapport mentionne que les retraites du régime général français versées à l’étranger concernent de nombreux pays, mais que l’Algérie demeure, hors de France, le premier pays bénéficiaire. Il est vrai que, historiquement, des dizaines de milliers d’Algériens ont travaillé dans l’Hexagone et y ont cotisé légitimement à leur retraite. Ces pensions, aujourd’hui versées de manière régulière, sont le fruit d’un travail honnête, souvent accompli dans des conditions difficiles durant les décennies d’après-guerre.
En vérité, les cas de décès non déclarés ou de pensions indûment perçues, bien qu’existants, demeurent faibles en proportion. La France, par la voix de ses institutions, semble vouloir généraliser une suspicion qui ne repose que sur une minorité de cas isolés. En lançant à grands renforts de communication une campagne de contrôles renforcés, elle risque non seulement de froisser ses partenaires, mais aussi de stigmatiser une population vieillissante dont les droits à la retraite sont acquis de longue date.
Depuis 2022, des contrôles ont été mis en œuvre sur pièces en Algérie, au Maroc, en Turquie, et prochainement en Tunisie, avec l’aide d’agents spécialisés dans la fraude documentaire. Ces procédures ont permis de détecter entre 2 et 5 % de décès non déclarés, un chiffre certes non négligeable mais qui, rapporté au volume total de pensions versées, reste modeste. Pourtant, la médiatisation de ces résultats a laissé penser à une fraude systémique, ce qui a suscité incompréhension et frustration côté algérien.
Le développement de partenariats locaux pour renforcer les contrôles a été confirmé par la Cour des comptes, insistant sur la nécessité d’une exécution rigoureuse des missions de vérification. Il ne s’agit donc pas d’un rejet des contrôles en soi, mais plutôt de souligner le traitement inéquitable réservé à certains pays, notamment à l’Algérie, par rapport à d’autres États également concernés par les versements de retraites françaises.
Par ailleurs, en évoquant un préjudice de 40 à 80 millions d’euros, la France semble oublier que le coût de cette fraude représente à peine 3,6 % du total versé annuellement à l’Algérie. Dans toute gestion budgétaire, une marge d’erreur ou de fraude existe, mais son instrumentalisation politique, surtout lorsqu’elle cible un pays en particulier, est problématique. La stigmatisation des retraités algériens ne fait que raviver les tensions mémorielles et diplomatiques, alors que les liens humains, économiques et historiques entre les deux pays devraient appeler à une approche équilibrée et respectueuse.
Si la lutte contre la fraude aux retraites est légitime, son traitement doit rester juste et proportionné. En désignant l’Algérie comme cible privilégiée dans ce dossier, la France prend le risque de nuire à la confiance entre deux partenaires historiques, tout en donnant une visibilité excessive à une problématique dont l’ampleur réelle reste, selon les propres chiffres des autorités françaises, limitée et contrôlable.