Depuis l’adoption de la nouvelle loi sur l’immigration en janvier 2024 en France, des rumeurs ont rapidement circulé, notamment sur les réseaux sociaux, concernant la remise des titres de séjour et la possibilité de se voir accorder un droit au séjour sans possibilité de refus. Cette fausse information, largement partagée, a semé confusion et inquiétude parmi les demandeurs d’un titre de séjour, avec des vidéos virales affirmant que les autorités françaises ne pouvaient plus refuser de telles demandes. Mais cette interprétation est erronée et mérite d’être clarifiée, comme l’expliquent des experts.
Dans une vidéo largement diffusée sur TikTok, des internautes ont relayé l’idée que la nouvelle loi sur l’immigration interdisait désormais le refus d’octroyer un titre de séjour. Une voix off, dans une publication du 23 novembre 2024, déclarait ainsi : « Désormais, on peut plus refuser un titre de séjour en France à un étranger. » Cette affirmation faisait également mention de l’introduction d’une « instruction à 360 degrés », qui serait censée obliger l’administration à examiner toutes les raisons possibles pour accorder un titre de séjour avant de le refuser ou d’émettre une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Une interprétation erronée qui a rapidement pris de l’ampleur, poussant de nombreux internautes à poser des questions sur les démarches à suivre en fonction de leur propre situation.
Les experts, cependant, réfutent catégoriquement cette version des faits. Serge Slama, professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes, rappelle que cette nouvelle loi ne modifie en rien la possibilité pour l’administration de refuser un titre de séjour. « Évidemment, il est toujours possible de refuser un titre de séjour, […] de prendre une OQTF », précise-t-il, soulignant que les préfets conservent un pouvoir discrétionnaire dans la prise de décision, ce que l’on appelle « le pouvoir discrétionnaire de l’administration ». Cela signifie que, malgré les nouvelles procédures, la décision finale d’octroyer ou non un titre de séjour revient toujours à l’administration, qui peut refuser en fonction des critères légaux établis.
L’une des raisons pour lesquelles un titre de séjour peut être refusé réside dans l’évaluation de la situation du demandeur au regard de l’ordre public. L’article L432-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile stipule qu’un titre de séjour peut être refusé à toute personne dont la présence en France est jugée comme une menace pour l’ordre public. Ainsi, même avec la mise en œuvre de la nouvelle loi, les préfectures conservent la possibilité de refuser l’octroi de titres de séjour si des circonstances spécifiques le justifient, notamment en matière de sécurité publique.
Cela dit, le texte de loi introduit tout de même un changement important : le dispositif d’instruction à 360 degrés. Ce système expérimental, mentionné dans l’article 14 de la loi du 26 janvier 2024, prévoit qu’avant de refuser une demande ou d’émettre une OQTF, l’administration doit désormais prendre en compte l’ensemble des raisons qui pourraient justifier un séjour régulier sur le territoire français. Ce principe vise à évaluer plus largement la situation du demandeur, et ce, de manière plus globale qu’auparavant. Par exemple, l’administration devra désormais aussi tenir compte des raisons familiales, des motifs médicaux, ou encore du fait qu’un individu soit le conjoint d’un Français ou le parent d’un enfant français. Ce changement vise à offrir une plus grande équité en examinant le contexte de chaque situation.
Il est important de préciser que cette nouvelle procédure ne s’applique qu’à un nombre limité de départements, dans le cadre d’une phase expérimentale. Ainsi, la mise en place de ce dispositif a été étendue à certains départements pilotes, dont le Calvados, l’Eure, la Manche, l’Orne et la Seine-Maritime, à partir de juillet 2024. Cette phase d’expérimentation durera jusqu’en 2027, période au cours de laquelle le gouvernement devra présenter un rapport d’évaluation devant le Parlement pour envisager une possible extension de la mesure à d’autres départements. Dans les départements où l’expérimentation n’a pas encore eu lieu, les préfectures continueront d’examiner les demandes de titres de séjour en fonction des seuls critères présentés par les demandeurs.
Le but de cette nouvelle approche est de simplifier les procédures d’instruction des demandes de titres de séjour. Actuellement, l’administration doit se contenter de traiter chaque demande sur la base du motif invoqué par le demandeur. Ce processus est souvent perçu comme parcellisé, car il ne prend pas en compte l’ensemble de la situation du demandeur. En revanche, avec l’instruction à 360 degrés, l’objectif est de réunir toutes les informations nécessaires dès la première demande, ce qui permettrait de prendre une décision définitive de manière plus rapide, sans avoir à revenir sur la demande à plusieurs reprises. Un tel processus pourrait en théorie limiter les recours et simplifier le traitement des dossiers, mais certains experts pointent également les risques de restrictions accrues, notamment en cas de refus définitif.
Un autre élément clé de cette réforme concerne le délai entre une demande rejetée et la possibilité d’en déposer une nouvelle. En cas de refus définitif, le demandeur ne pourra soumettre une nouvelle demande que si de nouvelles circonstances justifiant son séjour en France apparaissent. Cette mesure pourrait avoir des conséquences sur les droits des étrangers, notamment pour ceux dont la situation évolue avec le temps. Certaines associations, comme la Cimade, ont exprimé des préoccupations sur les risques que cette approche restreigne l’accès des demandeurs aux droits au séjour, notamment pour les situations qui évoluent après un premier refus.
Le processus de régularisation des étrangers en situation irrégulière, bien que visant à être plus transparent et plus rapide, comporte également des défis considérables, comme le souligne Matthieu Tardis, chercheur spécialisé dans les migrations. En effet, même si les démarches ont été en partie dématérialisées, cela n’a pas facilité l’accès aux services publics, notamment en ce qui concerne la prise de rendez-vous et le traitement des demandes. Selon lui, le principal problème reste la difficulté d’accéder à un guichet pour déposer une demande, rendant le système plus complexe et coûteux pour de nombreux demandeurs.
En dépit des rumeurs qui ont circulé sur les réseaux sociaux, il est essentiel de comprendre que la nouvelle loi sur l’immigration n’empêche en aucun cas les autorités françaises de refuser un titre de séjour. Les préfets conservent leur pouvoir discrétionnaire et la procédure d’examen à 360 degrés, bien qu’elle vise à simplifier et à améliorer l’examen des demandes, n’empêche pas de rejeter un dossier. Pour les étrangers en situation irrégulière, il reste impératif de bien comprendre les critères qui régissent l’octroi ou le refus d’un titre de séjour et de se préparer à répondre aux exigences légales.
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