Depuis des décennies, Air France relie la France à l’Algérie, desservant des milliers de passagers chaque année. Pourtant, derrière les sourires de façade et l’élégance affichée, une sombre réalité se cache au sein de la compagnie aérienne. Des hôtesses de l’air, des stewards et même des pilotes brisent le silence pour dénoncer des violences sexuelles et sexistes systémiques, révélant une culture d’entreprise toxique qui perdure malgré les promesses de changement.
« Faire voler l’élégance toujours plus haut. » Ce slogan, emblématique d’une récente campagne publicitaire d’Air France, contraste fortement avec les témoignages recueillis par la cellule investigation de Radio France. Loin des images glamour et des robes à traîne, les récits des hôtesses dépeignent une réalité bien plus sombre, où les agressions et le harcèlement sexuel semblent être monnaie courante.
Mathilde, hôtesse de l’air depuis plus de vingt ans, a accepté de témoigner sous son vrai prénom. « Les comportements sexistes font partie de mon quotidien, et j’ai appris à faire avec », confie-t-elle. Mais en octobre 2021, lors d’une rotation Paris-Casablanca, elle vit un calvaire. Son chef de cabine, son supérieur hiérarchique direct, la harcèle en plein vol. « Quand j’étais en train de préparer mon matériel, je m’accroupis, il me tient avec ses mains par les hanches et colle son sexe contre mon dos. Je lui dis d’arrêter et il me répond : ‘Mais tu te rends pas compte comme tu m’excites.’ Il me plaque contre les fours avec ses deux mains sur mes seins, je le repousse avant de me réfugier au poste de pilotage. »
À Casablanca, le cauchemar continue. Mathilde, épuisée et traumatisée, décide de se rendre seule au spa. En sortant, son agresseur l’attend à l’accueil. « Il me tire vers lui et m’embrasse, sous les yeux des employées du spa. Je le repousse, en lui disant : ‘Ça va pas ? Qu’est-ce que tu fais ?’ Il défait ensuite le nœud de mon peignoir, je me retrouve en maillot de bain et là il me dit : ‘Ah, j’étais sûr que t’étais bien gaulée.’ » Sur le vol retour, les agressions se répètent. « J’étais en train de préparer mon matériel, il attrape ma main, puis la pose sur son sexe en érection. »
De retour à Paris, Mathilde alerte sa supérieure hiérarchique. « Je lui dis que je ne me sens pas très bien, que j’ai effectué une rotation avec un chef de cabine qui m’a fait la misère et elle me répond : ‘Ah bon, il s’appelle comment ?’ Je lui donne son nom et elle me dit : ‘Ah lui, avec toutes les casseroles qu’il a aux fesses, il va vraiment finir par avoir des problèmes.’ » En juin 2022, Mathilde porte plainte pour « harcèlement et agression sexuelle ». Pourtant, au sein d’Air France, son dossier est classé sans suite. « On me dit qu’il a nié. Voilà. C’est sa parole contre la mienne. Et visiblement sa parole a plus de valeur que la mienne. »
Hôtesses de l’air : les témoignages se multiplient
L’histoire de Mathilde n’est malheureusement pas un cas isolé. Juliette, hôtesse à Air France depuis six ans, raconte avoir été harcelée sexuellement à plusieurs reprises par des supérieurs hiérarchiques. « Ça a commencé par des propos un peu malsains susurrés à l’oreille, comme par exemple des chansons un peu salaces. Il me disait : ‘Quand on arrivera à l’escale, on se retrouvera dans ta chambre.’ Il y a eu des mains déplacées au bas des hanches. Une fois arrivé à l’escale, il a voulu s’asseoir à côté de moi dans le bus, ça a continué, il me proposait toujours de se retrouver dans la chambre. » Juliette signale les faits à la direction, mais après six mois sans nouvelles, elle réalise que son témoignage n’a même pas été consigné par écrit. « Je suis tombée en dépression. C’est dur, car c’était un rêve de devenir hôtesse et d’entrer chez Air France, et ça s’est transformé en cauchemar. »
Les pilotes, souvent considérés comme intouchables, sont également pointés du doigt. Dominique, une autre hôtesse, raconte avoir été harcelée par deux pilotes lors d’une soirée au restaurant. « Durant le repas, ils tiennent des propos obscènes. En quittant le restaurant, je fais tomber ma carte bleue par inadvertance, qui tombe au pied du pilote. Il écarte alors les jambes, la ramasse puis se frotte le sexe avec avant de la mettre dans sa bouche. Il passe ensuite au-dessus de la table, se colle à mon visage et je comprends qu’il veut que je récupère ma carte bancaire avec ma bouche. »
Les hôtesses gardaient le silence par « peur »
Un rapport d’audit interne, commandé par le Comité social et économique d’Air France, confirme l’ampleur du problème. Selon ce document, les victimes gardent souvent le silence par « peur » que leur signalement ne soit pas pris au sérieux. « Les pilotes ont un statut de toute-puissance, entretenu par la direction », conclut le rapport. Carl Grain, commandant de bord et président de la section Air France au syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), reconnaît que des améliorations sont nécessaires, mais défend la compagnie : « Les signalements sont pris au sérieux par l’entreprise. Il y a des choses qui sont mises en place. Il y a une charte. »
Pourtant, les témoignages continuent d’affluer. Lucie, commandant de bord, raconte avoir été réveillée dans sa couchette par des pilotes qui diffusaient la bande-son d’un film pornographique. « S’ils font ça avec moi, qui suis leur supérieure hiérarchique, je vous laisse imaginer leur comportement avec les hôtesses. »
Face à l’inaction d’Air France, de nombreuses victimes se tournent vers des associations comme l’AVFT (Association contre les violences faites aux femmes au travail). Mathilde, juriste à l’AVFT, explique : « Les femmes qui nous saisissent sont en détresse. Elles ont d’abord subi des violences sexuelles et ensuite une violence supplémentaire de par l’inaction de leur entreprise, qui ne veut pas protéger les victimes et préfère garder les harceleurs ou les agresseurs. »
Les syndicats, longtemps silencieux, commencent également à se mobiliser. Bruno Merabtene, délégué du syndicat SNPNC, dénonce les lacunes dans les enquêtes internes : « Soit il n’y a pas de sanctions, soit il y a une sanction dont on ne connaît pas le niveau, soit on ne sait même pas s’il y a sanction. » Coline Brou, également déléguée au SNPNC, insiste sur la nécessité de former tous les employés, y compris les pilotes, pour lutter contre ces comportements.
Air France, de son côté, assure appliquer une politique de « tolérance zéro » et avoir formé près de 20 000 salariés sur les questions de harcèlement en 2023 et 2024. Pourtant, les témoignages et les documents internes révèlent une réalité bien différente, où les victimes sont souvent laissées sans soutien et les agresseurs rarement sanctionnés.
Alors que la compagnie continue de promouvoir une image d’élégance et de prestige, les voix qui s’élèvent aujourd’hui rappellent que le changement ne pourra venir que d’une réforme profonde de la culture d’entreprise. Pour les hôtesses, les stewards et les pilotes qui ont osé briser le silence, il est temps que « la honte change de camp ».
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