Algériennes de France – « Restez à vos places de femmes » : discours choquant

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Dans un climat social et numérique en constante mutation, un phénomène préoccupant attire l’attention des observateurs, des associations et des institutions républicaines : l’influence croissante de discours rigoristes portés par certains créateurs de contenus musulmans, très suivis sur les réseaux sociaux. Ces prêcheurs 2.0, dont les vidéos sont visionnées des millions de fois, ne se contentent pas de diffuser des rappels religieux classiques. Leur parole, souvent teintée de salafisme, s’impose comme une autorité autoproclamée qui prescrit aux femmes, en particulier aux femmes musulmanes vivant en France – dont de nombreuses Algériennes –, une conduite strictement définie, rétrograde et profondément genrée.

Parmi eux, Hamid El Senhaji est devenu l’un des visages les plus emblématiques de cette mouvance. Affichant des centaines de milliers d’abonnés sur TikTok et YouTube, il dispense une vision où l’époque contemporaine serait décadente et où le retour à une supposée pureté des temps passés serait le seul salut pour les musulmans. Dans un de ses sermons, il rejette sans nuance le salariat féminin, interrogeant rhétoriquement son audience : « Vous pensez que la femme avait besoin de sortir de son foyer ? » Il encense les générations passées où les mères, bien qu’analphabètes et privées de mobilité, auraient « vécu comme des reines ». Derrière cette nostalgie apparente se cache une critique acerbe du féminisme, décrit comme une entreprise visant à « déshumaniser l’homme » et à « rabaisser » sa virilité.

El Senhaji n’est pas seul. La rhétorique est amplifiée par une constellation d’influenceurs religieux, parmi lesquels Redazere, Hicham R2F, AbuayahTv ou encore Dr Frère Muz. Leur audience est colossale, leurs discours bien huilés, et leurs messages enveloppés dans les codes séduisants de TikTok et Instagram : formats courts, effets visuels, musique nasheed en fond, langage direct et ton de proximité. Leurs vidéos proposent un mode d’emploi du quotidien à travers une grille religieuse ultraconservatrice : tout y passe, de la manière dont une femme doit s’habiller à celle dont elle doit parler ou interagir avec les hommes.

Pour ces influenceurs, la femme musulmane ne peut sortir de chez elle qu’en respectant des règles vestimentaires précises, souvent inspirées d’un modèle saoudien. AbuayahTv, dans une de ses interventions, affirme qu’une femme peut porter un pantalon uniquement s’il est caché par une abaya. De son côté, Hicham R2F – qui totalise plus d’un million d’abonnés sur TikTok – va jusqu’à asséner aux femmes de sa communauté : « Restez à vos places de femmes ». Une phrase qui, si elle ne choquait pas tant, semblerait sortie d’un autre siècle. Il dénonce également les « féministes de Wish », comme si celles qui osent remettre en question ce carcan n’étaient que des caricatures à rabaisser.

La question de l’homosexualité est également abordée de manière radicale. Redazere, l’un des plus populaires, décrit l’homosexualité comme une « faiblesse » et une « épreuve », précisant que c’est l’acte sexuel entre personnes de même sexe qui constitue, selon lui, un « péché majeur ». Il déplore que les enfants soient exposés à la question du genre et de la transidentité à l’école, qualifiant cela de « corruption », et salue la religion comme ultime rempart moral.

Les femmes, dont les Algériennes de France, dans cette vision idéalisée de l’islam ultra-conservateur, sont systématiquement renvoyées à un rôle domestique et subordonné. Les injonctions se répètent : ne pas sortir seules, ne pas travailler, ne pas élever la voix, ne pas apparaître sur les réseaux sociaux en dansant ou même en montrant leur visage. Frère Muz, suivi par un million de personnes, va jusqu’à affirmer qu’un homme et une femme ne doivent pas se regarder dans les yeux, sauf dans le cadre d’une « transaction commerciale » ou d’une question religieuse. Il compile même la liste des femmes « pas mariables » : celles qui ne prient pas, celles qui s’estiment égales à leur mari, celles qui refusent l’autorité ou encore celles qui s’exposent sur internet.

Les arguments sont souvent les mêmes, appuyés par des versets coraniques ou des hadiths interprétés dans une lecture littérale. Mais ce qui inquiète, c’est le mélange entre contenu religieux et culture numérique, savamment orchestré pour séduire les plus jeunes. Des références à des séries Netflix, à Dragon Ball Z, des effets dignes des meilleurs monteurs, et une esthétique travaillée pour être virale. Le message passe d’autant mieux qu’il semble naturel, présenté avec douceur et humour, à mille lieues du ton austère qu’on pourrait imaginer pour ce type de discours.

Cependant, derrière ces discours se cache un rejet du cadre républicain français, ou du moins une marginalisation de ses principes. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires alerte sur les dangers de ces prêches numériques. Dans son rapport 2022-2024, elle met en garde contre des discours qui contestent la loi laïque, les droits fondamentaux, l’égalité entre hommes et femmes, et favorisent un séparatisme religieux. Les notions de « complotisme », de « radicalisation » ou encore de « déni de citoyenneté » sont évoquées.

Stéphane Amato, maître de conférences à l’université de Toulon, observe que ces influenceurs maîtrisent à la perfection les codes numériques pour faire du prosélytisme. Ils s’autoproclament imams ou enseignants, sans formation religieuse réelle, et créent une religion populaire, facile d’accès, qui attire les jeunes en quête d’identité. Pour Damien Saverot, enseignant à l’ENS et à Sciences Po, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un salafisme qui ne dit pas son nom, préférant avancer masqué, se dissimulant derrière des injonctions morales et des rappels à l’ordre religieux.

Dans un entretien accordé à BFM, Haoues Seniguer, politologue à Sciences Po Lyon, parle quant à lui de « néo-salafisme », un courant qui réinvente un passé idéalisé et fantasmé de la civilisation musulmane, où les rôles sociaux sont rigides, genrés, immuables. Dans cette logique, la femme est placée sous tutelle. Elle n’est jamais actrice de son destin, mais perpétuellement définie en fonction d’un père, d’un mari, d’un frère ou d’un imam.

Le cas de Nader Abou Anas, figure influente de ce courant, illustre cette tendance. Il fut prédicateur à la mosquée du Bourget et se targue aujourd’hui d’avoir « évolué » sur certaines positions, notamment après avoir été critiqué pour avoir légitimé le viol conjugal en appelant les femmes à ne pas refuser l’intimité à leur mari sans raison valable. Malgré cela, il demeure très suivi, avec des centaines de milliers d’abonnés sur les principales plateformes.

Le succès de ces influenceurs repose sur un double mécanisme : d’un côté, une parole présentée comme authentique et fidèle à la tradition islamique, de l’autre, une stratégie de communication moderne, utilisant les ressorts émotionnels, les frustrations sociales, les blessures identitaires et les références culturelles. Pour les jeunes femmes d’origine maghrébine en France, notamment les Algériennes, cette parole trouve un écho particulier. Car elle joue sur une ambivalence : réconfort identitaire face au rejet, mais au prix d’un enfermement.

En effet, dans un pays où les femmes issues de l’immigration, dont les Algériennes de France, subissent à la fois des discriminations raciales, sociales et sexistes, certaines trouvent dans ces discours une forme de reconnaissance, une valorisation de leur foi et de leur appartenance. Mais cette valorisation est conditionnelle : elle ne vaut que si elles acceptent d’effacer leur autonomie, leur voix, leurs choix.

Le danger, alors, ne réside pas seulement dans le contenu des vidéos, mais dans leur capacité à structurer une vision du monde binaire, où tout ce qui s’écarte de la norme religieuse – définie par ces influenceurs – est automatiquement qualifié de déviant, immoral ou occidental. L’égalité devient une hérésie, l’émancipation une menace, et le féminisme un ennemi.

La question qui se pose, au-delà des polémiques, est celle de la capacité de la société française à offrir des alternatives crédibles, inclusives et respectueuses aux jeunes femmes musulmanes, y compris aux Algériennes de France. Des figures qui concilient foi, modernité, égalité et liberté. Car si ces discours séduisent, c’est aussi parce qu’ils remplissent un vide. Un vide de représentation, de compréhension, et parfois même d’écoute.

Les Algériennes de France, comme toutes les femmes, ont le droit de choisir. Le droit d’être mères ou pas, voilées ou non, actives ou au foyer, croyantes ou non. Le droit, surtout, de ne pas se voir imposer un rôle figé dicté par des hommes, fussent-ils populaires sur les réseaux sociaux. Les phrases telles que « restez à vos places de femmes » ne sont pas de simples opinions. Elles sont le reflet d’une idéologie profondément patriarcale, qui utilise la religion comme alibi pour perpétuer des rapports de domination. Un discours qui, sous couvert de spiritualité, nie aux femmes leur pleine humanité.

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