L’affaire judiciaire autour de l’influenceur algérien connu sous le pseudonyme d’Imad Tintin a pris une tournure particulièrement complexe à Grenoble, où s’est tenu vendredi son procès en correctionnelle. Ce jeune homme de 31 ans, suivi par des centaines de milliers d’abonnés sur TikTok, est accusé de propos jugés dangereux, tenus en arabe dialectal dans une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux. Mais depuis l’arrestation d’Imad Tintin en janvier dernier, c’est un imbroglio linguistique et judiciaire qui s’est noué, mêlant traduction incertaine, réactions politiques et pressions médiatiques. L’audience du 17 mai a mis en lumière une série d’erreurs initiales dans la traduction de ses propos, pourtant déterminante dans la qualification des faits. À la base, la première version présentée durant la garde à vue affirmait qu’Imad Tintin appelait à « brûler vif, tuer et violer sur le sol français », une déclaration d’une extrême gravité qui avait précipité son placement en détention provisoire.
Mais une nouvelle traduction, cette fois réalisée par un expert agréé auprès de la Cour de cassation, a renversé la donne. Les termes les plus violents ont disparu, laissant place à des expressions certes provocatrices mais bien moins explicites. On y retrouve notamment : « Nous les Algériens, nous les gens du sang, nous avons grandi dans le sang (…) on va vous mettre le feu ». Une rhétorique polémique, à la frontière entre provocation et posture identitaire, mais dont la dimension terroriste ne semble plus avérée. C’est sur cette base que le parquet, par la voix du procureur Étienne Manteaux, a demandé une requalification des faits initialement poursuivis. Exit la « provocation directe à un acte de terrorisme », place à une nouvelle lecture juridique centrée sur les « menaces ». Pour le ministère public, l’influenceur a « clairement dérapé », mais sans franchir les seuils pénaux les plus lourds. Le procureur a requis six mois de prison dont quatre avec sursis, signe d’un net infléchissement de la gravité du dossier.
La défense, de son côté, dénonce une affaire montée en épingle dans un climat politique tendu. Maître Alexandre Rouvier, avocat d’Imad Ould Brahim, a estimé que son client avait été « livré en pâture » à l’opinion publique et aux réseaux sociaux, alors que seule « l’écume du dossier » était connue lors de son arrestation. Il a souligné le rôle du contexte politique et social, notamment les tensions communautaires sur fond de débats autour du régime algérien, dans la perception déformée de cette affaire. L’avocat a également mis en avant l’emballement médiatique provoqué par la première version traduite, ainsi que les interpellations en chaîne d’autres influenceurs d’origine algérienne dans l’Hexagone, soupçonnés eux aussi de propos haineux envers la France. Selon lui, l’instruction a été biaisée dès le départ par une volonté de faire un exemple. Il plaide la relaxe totale de son client, décrivant un « homme abîmé par ce qu’il a vécu », plus victime qu’auteur d’un acte répréhensible.
Au-delà du prétoire, cette affaire a également pris une dimension politique marquée. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a réagi rapidement dès les premiers éléments portés à sa connaissance, accentuant la pression sur la justice et contribuant à transformer une procédure judiciaire en casse-tête national. Pour de nombreux Algériens de France, le traitement du dossier a soulevé des inquiétudes sur l’objectivité du regard porté sur leur communauté dès lors que des figures médiatiques, comme Tintin, sont au cœur d’une controverse. La multiplicité des traductions, le poids des réseaux sociaux, l’implication politique : autant d’éléments qui ont transformé une affaire de propos tenus en ligne en un véritable labyrinthe judiciaire et social.
La décision finale du tribunal correctionnel de Grenoble est attendue pour le 10 juin. En attendant, l’affaire Tintin continue d’alimenter les discussions, tant dans les milieux judiciaires que sur les réseaux sociaux, et soulève de nombreuses questions sur les limites de la liberté d’expression, la responsabilité des influenceurs, et les tensions identitaires toujours plus sensibles en France. L’histoire d’Imad Tintin illustre aussi, de manière brutale, combien la frontière entre parole virale et incitation est mince, et combien le poids des mots, surtout traduits, peut devenir explosif.