Des Algériens de France dénoncent la cherté des billets d’avion : « plus que nos deux salaires mensuels réunis »

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L’été est traditionnellement une période de retrouvailles familiales et de vacances pour de nombreux Algériens de la diaspora qui cherchent à revenir dans leur pays d’origine. Cependant, cette année, un obstacle majeur se dresse sur leur chemin : le coût exorbitant des billets d’avion qui impacte de très nombreux Algériens de France.

La fermeture du ciel algérien à la concurrence a eu pour conséquence une augmentation significative des tarifs des billets d’avion, en particulier pendant la période estivale propice aux vacances au pays, pour les Algériens de France. Cette situation a suscité l’indignation parmi de nombreux Algériens vivant à l’étranger, qui se voient contraints de renoncer à leurs projets de voyage en raison des prix prohibitifs.

Madjid, 45 ans, et Sakina, 39 ans, en sont un exemple frappant. Résidant avec leurs trois enfants à Champigny, dans la région parisienne, ils ont été confrontés à des prix démesurés pour un voyage vers Béjaïa, à l’est d’Alger. Le couple et ses enfants auraient dû débourser un peu plus de 3 200 euros pour un aller-retour prévu entre la mi-juillet et la mi-août sur Air Algérie.

« Cela représente plus que nos deux salaires mensuels réunis », confie Madjid, employé au SMIC dans une entreprise de manutention, interrogé par Middle East Eye. « Nous avons l’habitude de nous priver de beaucoup de choses pour économiser l’argent du voyage. Mais les prix deviennent de plus en plus déraisonnables », dénonce son épouse, qui travaille à domicile comme assistante maternelle, peinée de ne pas rendre visite à ses proches.

Pour la même période, les tarifs d’Air France, la seconde compagnie qui dessert le territoire algérien, sont tout aussi rédhibitoires. Même Transavia, la filiale low-cost du transporteur français, ou encore Tassili Airlines (qui appartient au groupe pétrolier algérien Sonatrach), affichent des tarifs exorbitants pour l’été.

« Sans l’ouverture du trafic aérien à la concurrence, les prix continueront d’être prohibitifs », prévient dans un entretien avec MEE Abdelouahab Yagoubi, député des Algériens à l’étranger à l’Assemblée nationale algérienne, l’APN.

Depuis son élection en 2021, le parlementaire n’a cessé d’interpeller les autorités algériennes sur le problème du coût des billets. En juin 2022, il avait adressé une lettre à l’ex-premier ministre Aïmene Benabderrahmane pour dénoncer « l’injustice » infligée aux expatriés à cause de la grille tarifaire élevée des compagnies qui ont la mainmise sur les liaisons entre l’Algérie et la France, où vit la plus grande communauté d’émigrés algériens.

En 1999, l’État algérien avait pourtant décidé de faire jouer la concurrence en ouvrant l’espace aérien, comme d’autres secteurs stratégiques de l’économie nationale, à des entreprises privées. Mais l’expérience a tourné court.

Khalifa Airways, une compagnie de droit algérien, a été mise en liquidation judiciaire, quatre ans après sa création, pour des créances impayées, et son fondateur, Rafik Khalifa, condamné à dix-huit ans de prison pour détournement de fonds et usage de faux.

En 2006, la France et l’Algérie ont conclu un accord pour restreindre le nombre de transporteurs et soumettre à l’approbation des autorités aéronautiques des deux pays le programme des vols.

« Actuellement, sept compagnies assurent des vols entre la France et l’Algérie. En plus d’Air Algérie, de Tassili Airlines, d’Air France et de Transavia, il y a les compagnies low cost Vueling et Volotea (espagnoles) ainsi qu’ASL Airlines (française) », explique Jugurta Ayad, président de l’association communautaire établie en France ADDRA (Algériens des deux rives et leurs amis).

Or à l’inverse d’autres destinations, ces trois compagnies pratiquent sur le couloir France-Algérie des prix plutôt élevés. Les tarifs de Vueling, par exemple, pour la période choisie par Madjid et Sakina, se rapprochent beaucoup des tarifs d’Air Algérie.

« C’est un marché oligopole. Des ouvertures existent mais elles profitent à un nombre limité de compagnies qui tirent les prix vers le haut », affirme à MEE Jugurta Ayad, président de l’association communautaire établie en France ADDRA (Algériens des deux rives et leurs amis).

Pour répondre au mécontentement généré par les prix des billets, le gouvernement algérien a mis en place il y a trois ans une commission d’enquête. Face à des ambassadeurs, Aïmene Benabderrahmane avait jugé « inacceptable » que le prix [du billet Alger-Paris] atteigne 970 euros » en période estivale.

Le chef de l’État lui-même est intervenu en 2022 dans cette affaire pour demander à Air Algérie de revoir ses prix à la baisse au profit de la communauté algérienne établie à l’étranger.

Dans une audition au Parlement, l’ex-PDG de la compagnie avait justifié l’envolée des prix par la logique de l’offre et de la demande. « D’un côté, on ferme le marché par une décision administrative, y compris avec des accords comme celui de 2006, et d’un autre côté, on parle de l’offre et de la demande. Nous ne pouvons pas appliquer les règles de l’économie de marché dans une situation de monopole. C’est impossible », réagit Abdelouahab Yagoubi auprès de MEE.

En colère, le député dénonce les marges bénéficiaires excessives de la compagnie aérienne algérienne. « Les tarifs sont dix fois plus chers que la moyenne pour les trajets de même distance », observe-t-il pour MEE, estimant que le coût de revient du billet pour un passager ne doit pas dépasser les 70 euros en incluant tous les frais, y compris le kérosène, le personnel navigant, le personnel au sol, la maintenance et les taxes aéroportuaires.

En février, un nouveau directeur général, Hamza Benhamouda, a été nommé à la tête d’Air Algérie. Auditionné à son tour par les députés en mars, celui-ci a également promis une baisse des tarifs. Mais les clients ne voient rien venir.

« J’ai cessé d’espérer depuis longtemps », conclut Ahmed, un sexagénaire habitant comme Madjid et sa femme à Champigny. « Avant, j’embarquais tous mes enfants dans la voiture et nous prenions le bateau jusqu’à Oran. Mais maintenant, je n’ai plus la force de conduire aussi loin. Alors avec ma femme, nous achetons quand même les billets. C’est cher et ma pension est dérisoire. Mais avons-nous vraiment le choix ? », ajoute-t-il.

Il est à signaler que, Air Algérie a récemment lancé une offre dédiée aux familles, et qui a connu un franc succès auprès de nombreux Algériens de France qui se sont réjouis des prix des billets d’avion proposés dans le cadre de cette offre. Cependant, pour de nombreux Algériens établis dans l’Hexagone, cette promotion a été lancée en retard. « On a acheté nos billets au mois de mars pour l’été, et on les avait payés à des prix exorbitant. Il fallait lancer Osra à ce moment-là, vu que c’est à cette période que la plupart des émigrés procédent à l’acquisition de leurs billets d’avion.», regrette Céléna, cadre en aviation en France.

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