Le 11 mars dernier, France Télévisions a pris une décision qui a immédiatement suscité la controverse : la déprogrammation du documentaire « Algérie, Sections Armes Spéciales », initialement prévu pour une diffusion sur France 5 le 16 mars. Ce film, qui met en lumière l’utilisation d’armes chimiques par l’armée française durant la guerre d’Algérie, devait être un jalon important dans la compréhension de cette période sombre de l’histoire. Face au tollé provoqué par cette décision, le service public de l’audiovisuel a finalement annoncé qu’il reprogrammerait le documentaire, sans toutefois préciser de date. En attendant, il reste accessible sur la plateforme de streaming France.tv.
Cette annulation de dernière minute du reportage sur l’Algérie a été justifiée par France Télévisions par la nécessité de prioriser l’actualité internationale, notamment les tensions entre les États-Unis et la Russie. Pourtant, une autre production, « Syrie : la chute du clan Assad » d’Édith Bouvier, qui devait également être diffusée en prime time sur France 5, a rapidement trouvé une nouvelle date de programmation, fixée au 23 mars. En revanche, la boîte de production du documentaire consacré à l’Algérie est restée sans proposition concrète, ce qui a alimenté les spéculations sur une éventuelle censure politique.
Les réactions ne se sont pas fait attendre, aussi bien en France qu’en Algérie. De nombreux observateurs dénoncent une décision qui, selon eux, participe à un traitement différencié de l’histoire et témoigne d’une réticence à aborder des sujets sensibles liés à la colonisation. Dans un contexte diplomatique déjà tendu entre les deux pays, cette situation soulève de nombreuses interrogations quant à la gestion des mémoires historiques et à la volonté réelle d’ouvrir un dialogue apaisé sur le passé colonial.
Ce documentaire est le fruit d’un travail approfondi mené par l’historien Christophe Lafaye et la documentariste Claire Billet. Spécialiste de l’histoire militaire, Lafaye a consacré plusieurs années à enquêter sur l’utilisation des armes chimiques par l’armée française en Algérie. Il explique : « Tout a commencé durant la réalisation de ma thèse. Je travaillais sur l’armée française en Afghanistan, qui utilisait des retours d’expériences d’Algérie pour son entraînement. En 2011, j’ai suivi la préparation opérationnelle de sapeurs spécialisés, qui mettaient en œuvre certaines techniques de combats souterrains développées en Algérie. J’ai découvert l’existence des sections ‘armes spéciales’ qui ont opéré de 1956 jusqu’à la fin de la guerre. »
C’est en poursuivant ses recherches qu’il a rencontré Yves Cargnino, un ancien combattant de ces unités spéciales. « Quatre ans plus tard, j’ai rencontré par hasard à Besançon Yves Cargnino, un ancien combattant d’une de ces sections qui, du fait de son service, a subi de graves dommages aux poumons. Nous avons réalisé des entretiens et il m’a présenté d’autres anciens combattants, dont certains témoignent dans ce documentaire. J’ai pris conscience de l’ampleur de l’emploi de ces sections armes spéciales en Algérie et surtout des spécificités du recours aux armes chimiques », a-t-il confié au journal L’Humanité.
Ces révélations jettent un éclairage inédit sur une facette méconnue de la guerre d’Algérie et mettent en évidence l’ampleur de l’usage de substances toxiques dans le cadre des opérations militaires. Si le documentaire est aujourd’hui disponible en ligne, la question de sa diffusion télévisée reste en suspens. La reprogrammation annoncée par France Télévisions sera scrutée de près, tant par les historiens que par les défenseurs du devoir de mémoire. Cette affaire met en évidence les enjeux complexes liés à la reconnaissance des événements du passé et leur place dans le débat public contemporain.
Lire également :
Aéroport de Paris Roissy : un pilote Air Algérie fait « sa spéciale » en plein vol
Voyage : l’aéroport d’Alger met le paquet pour des « effaroucheurs »
« 474.300 euros » : une nouvelle affaire ébranle le marché noir