France : un sans-papier obtient un titre de séjour grâce à une loi méconnue par tous

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À Marseille, un sans-papiers ivoirien a réussi à obtenir un titre de séjour grâce à une disposition légale méconnue, marquant un tournant dans sa vie bouleversée par des années de précarité et de danger. Alphonse, cuisinier en CDI dans un restaurant de la cité phocéenne, raconte aujourd’hui son parcours avec la fierté de celui qui a surmonté l’injustice. Depuis trois ans, il vivait dans un « hôtel » insalubre, où les fils électriques à nu, les murs humides, les cafards et les rats faisaient partie du quotidien. L’eau courante était un luxe rare, et il devait se battre pour avoir accès à un filet d’eau pour sa toilette. Cette situation, vécue par de nombreux sans-papiers à Marseille, illustre les conditions indignes dans lesquelles vivent certains migrants.

Arrivé en France de Côte-d’Ivoire début 2022, Alphonse n’avait ni réseau ni papiers. Il a accepté un toit en échange d’un droit d’entrée et d’un loyer payé en liquide. « Mais c’était toujours mieux que la rue », confie-t-il, évoquant les toilettes inutilisables, l’eau coupée et les trajets interminables pour se doucher. C’est en novembre 2024 que le sans-papiers a franchi un pas décisif : il a dénoncé les conditions de vie imposées par son logeur auprès des autorités. Cette démarche a conduit à l’incarcération du propriétaire pour « soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes » et a ouvert la voie à sa régularisation.

Alphonse a pu bénéficier de l’article 55 de la loi immigration promulguée en janvier 2024. Cette disposition prévoit qu’un sans-papiers dénonçant un marchand de sommeil peut obtenir un titre de séjour « vie privée et familiale » d’un an. Pourtant, cette loi reste peu utilisée, car très peu de sans-papiers osent se présenter aux autorités, souvent par peur d’être arrêtés ou expulsés. « Il y a un conflit de loyauté. Beaucoup refusent de porter plainte, car leur logeur est le seul à leur avoir tendu la main », explique Cyrille Guiraudou, membre d’une association locale de défense du droit au logement à La Depeche. La peur est omniprésente et les sanctions contre ceux qui dénoncent les abus sont réelles. « Si les locataires se plaignent, on leur envoie des gros bras », confie une source proche du dossier. « C’est un climat de terreur, avec une vraie organisation mafieuse. Il y a un sentiment d’impunité total. »

La réussite d’Alphonse illustre le potentiel de cette loi méconnue pour protéger les sans-papiers et leur garantir un accès au titre de séjour. Les associations locales saluent cette victoire, tout en rappelant que l’application reste limitée sur le terrain. Pour Margot Bonis, juriste au Réseau hospitalité, « la loi devait affaiblir le pouvoir des marchands de sommeil, mais sur le terrain, il ne se passe rien. Les rares récépissés, on a dû les arracher ». Le ministère de l’Intérieur assure de son côté que des formations ont été dispensées aux préfectures afin de mettre en œuvre le dispositif, mais la peur et la méconnaissance de la loi par les sans-papiers freinent encore son application.

Aujourd’hui, Alphonse vit dans un studio, loin des conditions de promiscuité et d’insalubrité qu’il subissait. Le parcours du sans-papiers démontre que la législation existe pour protéger les plus vulnérables, mais que sa méconnaissance par les sans-papiers et la peur de représailles constituent un frein majeur. Le titre de séjour obtenu grâce à l’article 55 symbolise non seulement une victoire personnelle pour Alphonse, mais aussi un exemple concret de l’efficacité d’un texte légal trop souvent ignoré, offrant un souffle d’espoir à d’autres sans-papiers confrontés aux mêmes difficultés. Cette affaire rappelle que la protection des sans-papiers passe par la sensibilisation et l’accompagnement, et que la loi peut être un outil puissant pour changer des vies lorsqu’elle est appliquée.