L’affaire qui secoue le monde littéraire français et algérien met en lumière une polémique inédite autour du roman « Houris » de Kamel Daoud. L’écrivain franco-algérien, récemment couronné du prestigieux prix Goncourt 2024, se retrouve au cœur d’une bataille judiciaire. Saâda Arbane, une rescapée de la guerre civile algérienne des années 1990, accuse l’auteur d’avoir utilisé son histoire sans son consentement pour bâtir l’intrigue de son dernier ouvrage. Elle réclame 200 000 euros de dommages et intérêts et la reconnaissance du préjudice subi.
L’assignation a été officiellement notifiée à Kamel Daoud et à son éditeur Gallimard lors d’une séance de dédicace près de Bordeaux. Selon les informations relayées par Mediapart et confirmées par l’AFP, la première audience devant le tribunal judiciaire de Paris est prévue pour le 7 mai prochain. L’éditeur, pour l’heure, refuse de commenter l’affaire. L’ouvrage en question, « Houris », raconte le destin d’une femme baptisée Aube, muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999. Un récit qui, selon Mme Arbane, n’est autre que le sien, et dont les éléments concordent de manière troublante avec sa propre expérience.
Dans une déclaration médiatique datant de novembre, Saâda Arbane avait exprimé son indignation en expliquant que son histoire, intime et personnelle, avait été exposée au grand public sans son autorisation. D’après elle, Kamel Daoud l’a connue entre 2015 et 2023 en raison de ses consultations avec Aïcha Dahdouh, l’épouse de l’écrivain et psychiatre de profession. Ce lien, affirme-t-elle, a permis à l’auteur d’avoir accès à des détails précis sur son traumatisme, détails qu’il aurait ensuite exploités pour nourrir son roman.
L’assignation repose sur plusieurs éléments concrets. Mme Arbane, appuyée par des attestations médicales, souligne que la nature même de sa blessure est unique et identifiable. Deux médecins, l’un en France et l’autre en Algérie, ont témoigné en sa faveur en attestant du caractère singulier de son histoire. L’analyse du texte met également en évidence des similitudes frappantes entre la vie de la plaignante et celle du personnage principal d’« Houris ». L’assignation liste ainsi plusieurs extraits du roman, détaillant des éléments personnels tels que les cicatrices, les tatouages et la structure familiale du personnage.
Les avocats de Saâda Arbane, Me William Bourdon et Lily Ravon, ont dénoncé ce qu’ils qualifient de « pillage littéraire ». Ils pointent du doigt une atteinte grave à la vie privée, estimant que Kamel Daoud n’a pas respecté la volonté de leur cliente de garder son récit hors de la sphère publique. Selon eux, cette affaire est exceptionnelle dans l’histoire judiciaire, non seulement en raison de l’ampleur des emprunts supposés, mais aussi du préjudice psychologique et social que cette exposition engendrerait pour leur cliente.
Face à ces accusations, Kamel Daoud ne se démonte pas. Dans une intervention sur France Inter, il avait défendu son œuvre en arguant que l’histoire de Saâda Arbane était connue de nombreux Algériens, en particulier à Oran. Il affirme que son roman n’a jamais eu pour but de relater directement la vie de la plaignante et que son personnage est une métaphore plus large des violences subies par les femmes durant la décennie noire. Son éditeur Gallimard soutient également cette position, dénonçant une tentative de censure orchestrée par des médias proches du régime algérien, régime auquel Kamel Daoud s’oppose fréquemment dans ses écrits.
L’affaire ne se limite pas à la France. En Algérie, Saâda Arbane a également porté plainte contre l’écrivain, dans un pays où la décennie noire reste un sujet tabou. La législation algérienne interdit toute publication abordant cette période sans autorisation préalable, ce qui empêche la parution de « Houris » sur le territoire national. Kamel Daoud, de son côté, suggère que cette procédure judiciaire pourrait être instrumentalisée par le pouvoir en place pour le discréditer.
Au-delà du litige juridique, cette affaire soulève des questions fondamentales sur la frontière entre fiction et réalité en littérature. Un écrivain a-t-il le droit de s’inspirer d’histoires vécues sans en informer les protagonistes ? Le respect de la vie privée prime-t-il sur la liberté de création ? Autant de débats qui, dans l’attente du verdict judiciaire, continueront d’alimenter les discussions dans les cercles littéraires et au-delà.
Lire également :
Aéroport de Roissy : les Algériens ont eu droit à un traitement « inimaginable »
Ramadan 2025 en Algérie : la viande sera vendue à 1200 dinars
Air Algérie sert désormais des crevettes à bord de ses vols