Un nouveau tournant vient d’être franchi dans l’affaire des 442 milliards qui fait actuellement grand bruit dans les milieux judiciaires et économiques en Algérie.
Ce mardi, le procureur général près la dixième chambre pénale du Conseil judiciaire d’Alger a requis un durcissement significatif des peines initialement prononcées dans un dossier où sont impliqués deux chefs d’entreprise, accusés de graves infractions financières. Il a demandé l’augmentation des peines de prison de deux à huit ans ferme, ainsi qu’une amende de 50 millions de dinars algériens pour chacun des deux prévenus : S.F., propriétaire d’une société de transport, et T.K., gérant d’une entreprise spécialisée dans la distribution en gros et au détail. Les deux hommes sont poursuivis pour blanchiment d’argent et réalisation de transactions commerciales sans recours aux canaux bancaires, des accusations lourdes, aux conséquences potentiellement dévastatrices.
Ce dossier est examiné en appel après que le tribunal de Sidi M’hamed à Alger a condamné les accusés à deux ans de prison ferme. Les débats en seconde instance ont ravivé l’intérêt autour de cette affaire, en raison des montants en jeu et des zones d’ombre qui entourent certaines pratiques commerciales en Algérie. Tout a commencé avec des renseignements parvenus aux autorités, signalant que d’importantes sommes d’argent circulaient dans le pays sans passer par les circuits bancaires traditionnels, ce qui a rapidement éveillé les soupçons de blanchiment et de fraude. Une expertise judiciaire a mis en lumière un chiffre d’affaires colossal estimé à 300 milliards de centimes, généré par des opérations liées à la distribution de tabac dans plusieurs wilayas.
Les enquêteurs ont relevé pas moins de 42 transactions, totalisant une valeur globale de 442 milliards de centimes, toutes échappant aux déclarations fiscales exigées par la loi en Algérie. Une situation d’autant plus préoccupante qu’elle a révélé un déficit de 144 millions de dinars dans les comptes de la société « Loukmane », appartenant à l’un des prévenus, S. Farouk. Ces éléments ont pesé lourd dans la balance et ont conduit la Direction des impôts à adresser un rapport circonstancié aux services compétents, pointant l’absence de déclarations fiscales sur une période s’étalant de 2020 à 2023. C’est sur la base de cette correspondance que le juge d’instruction a établi l’ordonnance de renvoi des deux accusés devant la justice.
Lors de l’audience, les prévenus ont tenté de se défendre en rejetant les accusations. S.F. a déclaré que son entreprise ne fait que transporter des marchandises de manière régulière, en toute légalité, et que l’argent saisi ne lui appartient pas. Il a soutenu qu’il s’agissait des fonds liés aux activités de T.K., son partenaire commercial, avec qui il collabore pour la distribution des produits. Il a ajouté que les sommes d’argent circulaient à la demande du directeur de la société Loukmane, et qu’elles étaient acheminées via un réseau de distributeurs à travers le territoire national pour approvisionner les grossistes et détaillants en tabac.
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Quant à T.K., il a défendu la régularité de ses pratiques comptables, affirmant que toutes les opérations étaient enregistrées et que les délais de transport pouvaient expliquer certains décalages apparents. Il a aussi précisé que la majorité des transactions concernaient la société mère, « Adial Zad », seule détentrice de l’exclusivité de distribution du tabac en Algérie.
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La défense de S.F. a contesté la rigueur de l’enquête, mettant en avant une erreur commise par la Direction des impôts qui aurait, selon elle, omis d’enregistrer les déclarations fiscales soumises en bonne et due forme par son client. L’avocat a fourni une lettre officielle émanant de cette même direction, destinée à être intégrée au dossier, et visant à prouver que l’entreprise n’a jamais été en situation de fraude mais aurait au contraire réalisé des bénéfices nets. Selon lui, la détention actuelle de S.F. repose sur une simple négligence administrative, et il serait injuste de prolonger l’emprisonnement d’un homme pour une erreur involontaire. Il a ainsi plaidé pour l’acquittement de son client, estimant que le maintien en détention ne se justifie en aucun cas, au regard des nouveaux éléments portés à la connaissance du tribunal.
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Cette affaire, dont le montant en jeu atteint 442 milliards de centimes, continue de secouer l’opinion publique en Algérie et souligne les défis persistants liés à la transparence financière, à la régulation des flux monétaires hors banques et à la lutte contre l’économie parallèle en Algérie. Les prochaines audiences pourraient être décisives pour les deux prévenus, mais également pour les mécanismes de contrôle institutionnel appelés à se renforcer dans un contexte de plus en plus exigeant en matière de conformité économique.