Les Algériens de France expriment de plus en plus leur inquiétude face à la montée des tensions entre Paris et Alger. Dans une enquête publiée récemment par le média français L’Humanité, plusieurs témoignages recueillis à Barbès, quartier emblématique de la communauté algérienne à Paris, traduisent un sentiment de peur et d’incertitude grandissant. Alors que les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie traversent une nouvelle période de crispation, de nombreux Algériens établis en France redoutent un impact direct sur leur quotidien.
Mercredi matin, dans ce quartier du 18e arrondissement de Paris, l’ambiance est celle des jours ordinaires : des étals débordants de gâteaux orientaux, des cafés où l’on discute en arabe et en français, des échoppes où les odeurs de pain chaud se mêlent à celles des épices. Pourtant, derrière cette apparente normalité, un malaise palpable s’installe au sein de la communauté. L’Humanité a donné la parole à ces Algériens qui se sentent de plus en plus exposés aux tensions politiques entre les deux pays.
Salah, un boucher âgé de 67 ans et installé en France depuis 45 ans, témoigne d’un changement inquiétant dans l’atmosphère. Originaire de Guelma, en Algérie, il se dit consterné par l’omniprésence de l’Algérie dans les discours politiques et médiatiques français. « On se lève le matin, on allume la télé, ça parle de l’Algérie. À midi, l’Algérie. Le soir, toujours l’Algérie. » D’un geste las, il suspend son couteau, lève les yeux au ciel et lâche, amer : « Ils n’ont que ça à faire, franchement ? Il n’y a pas d’autres problèmes à régler ? »
Il rappelle que son grand-père, lui aussi, avait la nationalité française, et insiste sur la profondeur des liens qui unissent les deux peuples. « Deux siècles, bientôt, qu’on se mélange. Ce n’est pas à cause de deux ou trois voyous qu’ils vont diviser nos peuples. » Malgré cela, la tension est bien présente et se fait sentir au quotidien. Salah relativise cependant les déclarations de certains responsables politiques français, comme Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, qui a récemment suggéré de revoir les accords de 1968 régissant le séjour des Algériens en France. « Ce n’est pas de son niveau, ces histoires-là, c’est aux chefs d’État d’en parler. »
Mais cette insouciance n’est pas partagée par tout le monde. Malik, ancien sans-papiers désormais titulaire d’une carte de résident, avoue être plus serein quant à son propre statut, mais s’inquiète pour ceux qui, comme lui auparavant, sont encore en situation irrégulière ou en attente de régularisation. « Les gens recommencent à avoir peur, même s’ils ont une attestation de dépôt de leur dossier (de titre de séjour). »
Ce climat de méfiance généralisée est accentué par les polémiques qui s’enchaînent autour de la question migratoire en France. Malik fustige ce qu’il perçoit comme une instrumentalisation politique : « Le gouvernement français invente un nouveau truc tous les jours. Un jour, c’est les influenceurs, le lendemain, c’est le voile, après c’est les OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). »
Dans les rues de Barbès, les témoignages recueillis par L’Humanité vont tous dans le même sens : un malaise grandissant, une crainte de voir les tensions diplomatiques se traduire par un durcissement des politiques migratoires, et surtout, un regard de plus en plus pesant sur la communauté algérienne. Malik dénonce cette évolution : « Depuis que le gouvernement court après l’extrême droite, on n’a jamais croisé autant de mauvais regards. »
L’inquiétude est donc bien réelle, et elle dépasse le seul cadre politique. Pour de nombreux Algériens de France, ces tensions réveillent de vieux souvenirs et ravivent des craintes enfouies. La méfiance à leur égard, parfois latente, semble s’être intensifiée ces derniers mois, au point que certains redoutent un retour aux heures sombres des discriminations et du rejet.
Dans ce climat incertain, beaucoup se demandent ce que leur réserve l’avenir. Si les relations entre Paris et Alger ne s’apaisent pas rapidement, certains redoutent que la situation ne se détériore davantage, non seulement sur le plan diplomatique, mais aussi dans leur vie quotidienne en France. En attendant, à Barbès, entre la nostalgie d’une époque où les débats politiques semblaient moins pesants et la crainte d’un durcissement des politiques migratoires, la communauté algérienne oscille entre résignation et inquiétude.
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