« Renault a investi 2 milliards d’euros au Maroc et 10 millions en Algérie »

Renault Peugeot Algérie

« Renault a investi 2 milliards d’euros au Maroc et 10 millions en Algérie », telle est la révélation fracassante faite par un ancien ministre algérien de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, dans une interview accordée au journal Echorouk. Cette déclaration soulève un voile sur un déséquilibre choquant entre les engagements financiers de Renault dans deux pays voisins. Alors que Renault a injecté des milliards dans le développement industriel d’un pays du Maghreb, son implication en Algérie reste minime, malgré les avantages substantiels dont il a bénéficié pendant des années. Renault, acteur majeur de l’industrie automobile, semble avoir adopté des stratégies diamétralement opposées entre le Maroc et l’Algérie, au détriment de cette dernière.

Selon les propos de Ferhat Aït Ali, l’usine Renault d’Oued Tlelat à Oran n’a jamais véritablement représenté un projet industriel structurant pour l’économie algérienne. Sur le papier, Renault détenait 49 % des parts, mais l’investissement réel de la société française en Algérie se limite à 10 millions d’euros. Le reste, soit 160 millions d’euros, a été financé par un prêt du Crédit Populaire d’Algérie, ce qui signifie que l’effort financier est largement assumé par l’État algérien. Renault, présent en Algérie depuis 2014 dans le cadre d’un partenariat industriel, s’était engagé à atteindre un taux d’intégration locale de 30 % après cinq ans d’activité. Pourtant, en six ans, Renault n’a jamais dépassé les 4 % d’intégration en Algérie, une performance loin des attentes et des obligations contractuelles.

Dans le même temps, Renault a développé une capacité industrielle impressionnante dans un pays voisin, y investissant 2 milliards d’euros de ses propres fonds. Cet écart, souligné par Aït Ali, met en lumière le traitement différencié accordé aux marchés maghrébins par Renault. En Algérie, l’usine Renault d’Oran fonctionnait essentiellement comme une chaîne de montage sans valeur ajoutée locale significative. La fabrication de pièces majeures, telles que les moteurs et les boîtes de vitesses, n’était même pas incluse dans le calcul du taux d’intégration, un choix attribué à l’ancien ministre algérien Abdeslam Bouchouareb, aujourd’hui en fuite et réfugié en France, pays qui refuse son extradition.

Pour Ferhat Aït Ali, cette politique industrielle a été biaisée dès le départ. Il affirme qu’en imposant la fabrication locale de la carrosserie, Renault aurait dû engager un investissement minimum de 800 millions d’euros en Algérie, ce qui aurait incité le constructeur à respecter ses obligations. Renault, qui refuse de se soumettre au nouveau cahier des charges établi en 2022, continue pourtant de vouloir relancer son activité sur le site d’Oued Tlelat. Selon Michel Bisac, président de la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française, une nouvelle proposition d’investissement de 120 millions d’euros a été faite, mais rejetée par les autorités algériennes, qui exigent désormais des engagements plus sérieux et conformes aux priorités industrielles du pays.

Dans une tentative de peser sur les décisions, plusieurs ambassadeurs français ont cherché à établir un lien entre le dossier Renault et les sujets sensibles des visas et de la migration. Ferhat Aït Ali raconte que, lorsqu’il occupait encore son poste, il a été approché par Xavier Driencourt et François Gouyette, deux diplomates français qui ont tenté d’aborder la question industrielle en la liant à celle des relations bilatérales, une approche qu’il a refusée catégoriquement. Il affirme même qu’il n’aurait jamais accepté de les recevoir s’il avait su leurs intentions à l’avance.

L’arrêt de l’usine Renault en Algérie, décidé en 2020, marque une rupture dans la politique industrielle algérienne. Le gouvernement a alors introduit de nouvelles règles via la loi de finances complémentaire, interdisant toute activité de montage sans kit CKD. Renault, malgré cette décision claire, espérait maintenir ses privilèges sans véritable transformation de son modèle. Pourtant, les autorités algériennes ont désormais fixé des objectifs précis : un taux d’intégration de 10 % dès la deuxième année, 20 % après trois ans et 30 % au bout de cinq ans.

Aujourd’hui, Renault souhaite toujours poursuivre ses activités en Algérie, mais Renault peine à adapter son modèle aux exigences algériennes. Renault, présent dans le pays depuis près d’une décennie, se retrouve désormais confronté à une Algérie plus vigilante, plus exigeante et soucieuse de faire respecter les règles. L’écart d’investissement entre le Maroc et l’Algérie, notamment les 2 milliards d’euros engagés dans un pays voisin contre les 10 millions en Algérie, reste un point central dans les débats. Cette différence flagrante dans l’engagement de Renault avec l’Algérie soulève de profondes interrogations sur les motivations stratégiques de l’entreprise et sur la capacité des négociateurs algériens à défendre les intérêts économiques du pays.