Titres de séjour : SMIC, avis d’impots positifs…., voici toutes les difficultés rencontrées par les étrangers

Titres séjour

La dématérialisation des démarches administratives pour l’accès aux titres de séjour, conjuguée à une restriction de l’accès aux droits et une réduction des moyens administratifs, place les immigrés dans des situations kafkaïennes. Cette transformation numérique, censée simplifier les procédures, a en réalité complexifié et rendu quasi inaccessible le processus d’obtention ou de renouvellement des titres de séjour, plongeant de nombreux immigrés dans une précarité extrême.

Le 2 novembre 2022, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, déclarait dans une interview au Monde qu’il souhaitait « rendre la vie impossible » aux immigrés en situation irrégulière. Dans les faits, cela semble être déjà une réalité depuis de nombreuses années, touchant même ceux en situation régulière. Cette politique semble viser à entraver leur intégration, comme le montre le cas d’Aïda.

Aïda, d’origine arménienne, est arrivée en France en 2009, a fait part de sa mésaventure à Alternatives économiques. Après cinq ans d’attente, elle obtient son premier titre de séjour en 2014, mais le perd en 2019 malgré une carrière active. Assistante maternelle puis employée dans un Ehpad, Aïda voit sa demande de carte de séjour de dix ans refusée en 2019 pour avoir échoué à un examen de langue française de niveau élémentaire. Sa situation se complique davantage lorsqu’elle tente de renouveler sa demande en 2020. Bien qu’elle réussisse un examen de langue de niveau supérieur et demande la naturalisation, elle se heurte à l’obstacle de la dématérialisation des démarches.

La numérisation des procédures, amorcée en 2016 et accélérée par la pandémie de Covid-19, rend l’accès aux services encore plus difficile. Les rendez-vous en préfecture, autrefois obtenus après de longues files d’attente visibles, se transforment en files d’attente virtuelles, souvent encore plus longues et frustrantes. Chloé Tinguy, chargée de projet migrants au Secours Catholique, souligne que ces files d’attente sont devenues invisibles mais persistent derrière les écrans.

La déshumanisation des démarches est un autre effet pervers de cette numérisation. Vanina Rochiccioli, coprésidente du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), observe une réduction des espaces de dialogue avec l’administration, compliquant la prise en compte des situations particulières des demandeurs. « Aujourd’hui, les personnes qui souhaitent obtenir un rendez-vous pour faire une première demande de titre de séjour ou le renouveler doivent veiller des nuits entières pour trouver un créneau », explique-t-elle.

Un autre problème majeur est le marché noir des rendez-vous. Des plateformes privées vendent des créneaux, une dérive dénoncée par les anciens députés Sonia Krimi et Sébastien Nadot dans un rapport parlementaire de novembre 2021, qualifiant la situation de « maltraitance d’État ». Le délai moyen pour obtenir un titre de séjour en Île-de-France est désormais de deux ans, et jusqu’à quatre ans dans certaines préfectures comme Paris, Créteil, Bobigny et Évry. Pendant cette période, les demandeurs peinent à travailler, se loger, et vivre normalement.

La circulaire Valls de novembre 2012, qui permet théoriquement les régularisations pour raisons familiales ou professionnelles, est appliquée de manière restrictive. Les préfets exigent des preuves souvent difficiles à fournir, comme des documents attestant d’une présence continue sur le territoire. Pour de nombreux migrants, souvent payés sans être déclarés, ces preuves sont impossibles à obtenir.

Les métiers en tension, censés faciliter la régularisation, excluent souvent les secteurs où les sans-papiers sont nombreux, comme la restauration et les services à la personne. Paradoxalement, ces travailleurs sans papiers occupent des postes essentiels, notamment durant la crise sanitaire, mais continuent de vivre dans l’insécurité administrative.

Des pratiques illégales persistent dans les préfectures, malgré les décisions du Conseil d’État en juin 2022 qui prévoient des alternatives pour ceux ayant des difficultés à accéder à Internet. Alexandre Moreau, juriste au sein du collectif Bouge ta Préf!, note que beaucoup de préfectures refusent les boîtes postales comme adresse, compliquant la réception du courrier officiel pour les demandeurs. L’absence de délivrance de récépissés, pourtant nécessaires pour travailler, est une autre violation courante.

La précarisation administrative des étrangers est un phénomène systémique. Pour bénéficier des prestations sociales, il faut justifier de la régularité et de l’ancienneté de son séjour. Antoine Math, économiste à l’IRES, rappelle que « la France n’est plus un État de droit pour les étrangers », en raison de ces obstacles administratifs constants.

La politique d’immigration de la France a évolué de manière restrictive depuis les années 1970. Alors que le contrat de travail valait autrefois titre de séjour, les années 1990 et 2000 ont vu des lois de plus en plus sévères, réduisant progressivement les possibilités de régularisation. La loi Cazeneuve de 2016, bien qu’introduisant des titres de séjour pluriannuels, n’a pas inversé cette tendance restrictive.

La révision générale des politiques publiques (RGPP) sous Nicolas Sarkozy a particulièrement affecté les préfectures, réduisant leurs moyens tout en augmentant la demande de titres de séjour. Les agents, souvent précaires eux-mêmes, sont débordés et incapables de répondre efficacement aux besoins des demandeurs.

Le Défenseur des droits, saisi de milliers de réclamations, a publié en 2019 un rapport dénonçant un « déni de droit généralisé » concernant les étrangers. Les tentatives de médiation de l’institution n’ont fait qu’ajouter une étape supplémentaire pour accéder aux services préfectoraux. Les atteintes aux droits des étrangers sont désormais le premier motif de saisine du Défenseur des droits, représentant 24% des réclamations en 2022 et en augmentation en 2023.

La situation des immigrés en France est devenue un véritable labyrinthe administratif, où la numérisation des démarches, loin de simplifier les procédures, a créé des barrières invisibles mais infranchissables. Cette réalité administrative, marquée par une précarisation croissante et une déshumanisation des services, reflète une politique délibérée de dissuasion et de contrôle des flux migratoires. Les conséquences humaines sont désastreuses, plongeant des milliers de personnes dans l’incertitude et l’injustice au quotidien.

Titres de séjour : les files d’attente invisibles

La maltraitance administrative, qui a débuté bien avant la promulgation de la loi sur l’immigration en janvier 2024, se manifestait auparavant par de longues files d’attente devant la préfecture de police de Paris. Aujourd’hui, ces files d’attente existent toujours, mais elles sont devenues invisibles. « En réalité, elles sont beaucoup plus longues derrière les écrans », explique Chloé Tinguy, chargée de projet migrants au Secours Catholique. La dématérialisation des démarches d’accès au séjour a commencé en 2016 et s’est fortement accélérée avec le confinement lié au Covid-19.

Cette numérisation a non seulement rendu l’accès aux rendez-vous plus difficile, mais elle a également entraîné une forte déshumanisation des processus. Vanina Rochiccioli, coprésidente du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), observe que la numérisation a réduit les espaces où les demandeurs pouvaient expliquer au guichet la complexité de leurs situations. « Aujourd’hui, pour obtenir un rendez-vous pour une première demande de titre de séjour ou pour un renouvellement, il faut souvent veiller des nuits entières pour espérer trouver un créneau disponible. »

Cette difficulté d’accès a donné lieu à un marché des rendez-vous, où des plateformes privées monnayent l’obtention de créneaux. Cette dérive a été pointée par Sonia Krimi et Sébastien Nadot, anciens députés, dans un rapport parlementaire en novembre 2021, qui parle de « maltraitance d’Etat » subie par les immigrés.

Par ailleurs, il est à signaler que, le délai moyen pour obtenir un titre de séjour est de deux ans en Île-de-France, selon les estimations du Secours Catholique. À Paris, Créteil, Bobigny et Évry, ce délai peut atteindre trois ou quatre ans. Pendant cette période, il est extrêmement difficile pour les demandeurs de travailler, se loger, se déplacer, ou même faire des projets de vie. « Les étrangers sont dans un inconfort d’autant plus extrême qu’en parallèle, on criminalise les sans-papiers », se désole Chloé Tinguy.

Officiellement, la circulaire Valls de novembre 2012 permet pourtant les régularisations et l’obtention de titres de séjour au titre de la vie privée et familiale : parents d’enfants scolarisés, conjoints de personnes en situation régulière, longue ancienneté de séjour… Elle donne également pouvoir au préfet de délivrer un titre de séjour aux personnes titulaires d’un CDD ou d’un CDI. C’est toutefois une circulaire « non impérative ». En pratique, son application est souvent restrictive, les préfets exigeant des preuves d’une présence de plusieurs années sur le territoire.

Or, « un avis d’imposition sans revenus ne suffit pas pour attester de la présence continue en France, alors que beaucoup de migrants sont payés sans être déclarés », remarque Alexandre More, du collectif Bouge ta Préf ! De plus, les secteurs en tension, censés permettre une régularisation par le travail, excluent ceux dans lesquels de nombreux sans-papiers sont présents, comme la restauration ou les services à la personne.

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