L’Algérie fait face à une problématique économique majeure : la persistance du marché noir des devises, qui impacte considérablement la stabilité monétaire du pays. Malgré des mesures administratives et des ajustements de l’allocation touristique, le taux de change parallèle continue d’exister, creusant un écart important avec le taux officiel. Cet écart alimente une économie informelle difficile à contrôler et pénalise les citoyens qui souhaitent acquérir des devises légalement.
Pour tenter d’apporter une réponse à cette situation, les autorités ont annoncé en décembre 2024 une augmentation de l’allocation touristique, la faisant passer à 750 euros pour les adultes et 300 euros pour les mineurs. Cette mesure, bien qu’accueillie favorablement, soulève des interrogations quant à son impact réel sur la réduction du marché noir. En effet, même multipliée par sept par rapport à son ancien montant de 100 euros, cette allocation reste insuffisante pour couvrir les besoins d’un voyageur algérien à l’étranger.
L’expert en économie Mahfoud Kaoubi est intervenu à ce sujet sur les ondes de la radio Chaîne 3, exprimant ses réserves quant à l’efficacité de cette décision. « Cette allocation, même augmentée, ne suffit pas pour un voyageur algérien. Elle ne couvre même pas les frais de transport entre l’aéroport et son lieu d’hébergement. » Il insiste sur le fait que la véritable problématique ne réside pas dans le montant de l’allocation mais dans l’existence d’un marché parallèle florissant qui offre un taux de change beaucoup plus avantageux que celui des banques.
Kaoubi souligne que cette augmentation ne répond pas uniquement à une logique d’amélioration du pouvoir d’achat des voyageurs, mais vise également à d’autres objectifs économiques. Toutefois, il met en garde contre un risque pour les réserves de change si la demande devient trop importante. « Imaginons 4 millions de demandeurs d’un bon de 750 euros, cela poserait inévitablement de sérieux problèmes en termes de disponibilité des devises. »
Une révision du système de change comme solution durable
Face aux limites des mesures administratives actuelles, Mahfoud Kaoubi préconise une réforme globale du système de change en Algérie. Il estime que la dualité des prix, entre le marché officiel et le marché parallèle, est l’un des principaux facteurs expliquant l’existence du marché noir des devises. « La dualité des prix est à l’origine de la dualité des marchés. La dualité des marchés est une conséquence et non une cause. »
L’expert insiste sur l’importance d’une action en profondeur pour éliminer l’écart entre le taux de change officiel et le taux parallèle. Selon lui, ce rapprochement permettrait de rétablir un certain équilibre économique et d’inciter les citoyens à effectuer leurs transactions au sein des circuits bancaires légaux. « Si on veut unifier les marchés, il faut qu’on agisse sur les prix. Des prix unifiés donnent des marchés unifiés. »
Cependant, cette transition ne peut pas être brutale. Kaoubi met en garde contre les effets négatifs d’une réforme trop précipitée, qui pourrait générer une instabilité monétaire et économique. Il recommande plutôt une approche progressive, encadrée par des mesures d’accompagnement et un contrôle strict de l’évolution des flux financiers.
L’importance de bureaux de change accessibles
L’un des principaux obstacles à la réduction du marché parallèle réside dans l’absence d’un réseau fonctionnel de bureaux de change en Algérie. Malgré l’ouverture de quelques bureaux à l’aéroport international d’Alger et à la gare maritime du port d’Alger, leur nombre reste largement insuffisant pour répondre à la demande des citoyens.
Kaoubi estime que le développement d’un réseau dense de bureaux de change légaux permettrait d’attirer les transactions vers le marché officiel et de réduire progressivement l’influence du marché noir. Toutefois, il met en garde contre une bureaucratisation excessive du processus d’obtention de devises, qui pourrait décourager les citoyens. « Il ne faut pas bureaucratiser le processus et mettre en place des procédures qui compliqueraient encore plus la vie des citoyens. »
Il rappelle que l’Instruction de la Banque d’Algérie de 1997 fixait déjà un cadre pour l’allocation touristique, mais que son application a été limitée par des contraintes administratives. Il préconise donc une simplification des démarches et une amélioration de l’accessibilité des devises pour éviter que les citoyens ne soient tentés de recourir au marché noir.
« Le réseau des agences bancaires de la Banque d’Algérie n’est pas suffisamment dense et n’est pas implanté dans toutes les communes du pays. Comment prévoir le dépôt d’un dossier dans une agence qui n’existe parfois que dans les chefs-lieux de wilayas ou de daïras ? »
Un enjeu économique majeur pour l’Algérie
Au-delà de la question de l’allocation touristique, la problématique du marché parallèle des devises reflète un déséquilibre structurel de l’économie algérienne. La différence entre les taux de change officiel et parallèle perturbe le calcul des coûts de production, fausse les décisions d’investissement et entraîne une fuite des capitaux.
Kaoubi insiste sur la nécessité de réduire ces distorsions économiques pour garantir un développement plus harmonieux du pays. « Cette dualité pervertit les calculs économiques, que ce soit sur le taux de change ou sur les subventions. » Il estime que l’Algérie doit engager une réforme en profondeur afin de libérer ses potentialités économiques et de rétablir la confiance des investisseurs.
Pour lui, la réforme du système de change doit s’accompagner de mesures visant à encourager l’investissement et à renforcer la compétitivité des entreprises algériennes. Une meilleure intégration de l’Algérie dans le commerce international permettrait d’augmenter les entrées de devises et de réduire la dépendance au marché parallèle.
Vers une transition progressive
La lutte contre le marché noir des devises ne peut se faire du jour au lendemain. Kaoubi appelle à une transition maîtrisée, reposant sur des réformes structurelles et une coordination efficace entre les autorités monétaires et économiques.
« Si nous voulons rétablir la stabilité monétaire, nous devons impérativement revoir notre politique de change. Cela nécessite une volonté politique forte et une mise en œuvre progressive des réformes pour éviter les chocs économiques. »
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