Une décision législative récemment adoptée en France suscite une onde de choc au Maroc. Il s’agit de l’interdiction du démarchage téléphonique, votée par le Parlement français et qui entrera en vigueur en août 2026. Cette mesure, bien qu’annoncée comme une réponse aux abus vécus par les consommateurs français, risque d’avoir des répercussions économiques sévères sur le secteur des centres d’appels au Maroc, dont la dépendance vis-à-vis du marché français est historique. Le lien entre la France et le Maroc, particulièrement dans ce domaine, s’est construit sur des décennies de sous-traitance dans la relation client, et cette interdiction remet aujourd’hui en cause un pan entier de cette collaboration économique.
En France, l’objectif affiché est la protection des citoyens contre des appels jugés intempestifs. Mais pour le Maroc, cette évolution législative est perçue comme un coup de massue. Youssef Chraïbi, président de la Fédération marocaine de l’externalisation des services (FMES), a confirmé que le marché français représente encore plus de 80 % du chiffre d’affaires généré par les centres de relation client offshore installés au Maroc. Même si le démarchage téléphonique pur ne représente plus que 15 à 20 % de l’activité globale du secteur, sa disparition imminente laisse planer une menace sérieuse sur des milliers d’emplois.
Selon Chraïbi, ce sont surtout les petites structures marocaines qui risquent de plier sous le poids de cette nouvelle donne imposée par la France. Ces entités, souvent spécialisées uniquement dans le télémarketing et dépendantes d’un seul client ou d’un unique segment d’activité, manquent de la diversité nécessaire pour survivre à ce genre de crise. Pour ces acteurs fragiles, cette mesure prise par la France pourrait bien signer la fin de leur activité, mettant le Maroc face à une situation sociale délicate avec des risques importants de licenciements.
Le responsable marocain ne cache pas son inquiétude. Il évoque non seulement une menace économique mais aussi un risque réputationnel pour le Maroc, si certaines pratiques illégales ou contraires à l’éthique persistent dans les marges du secteur. Pourtant, il tempère : les plus grandes entreprises marocaines, qui représentent aujourd’hui plus de 75 % du volume total, ont déjà entamé depuis plusieurs années une transition vers des services de plus grande valeur ajoutée, en phase avec les exigences réglementaires françaises et européennes.
Pour ces acteurs majeurs, la France reste un partenaire stratégique, même si le démarchage en France est désormais voué à disparaître. Ils se sont orientés vers des prestations telles que le support technique, la modération, le traitement back-office ou la relation client multicanale. Cette diversification, amorcée bien avant la mesure en France, pourrait leur permettre de maintenir leur activité malgré la situation critique que traverse le Maroc dans ce domaine.
Cependant, à court terme, certains centres de contact marocains restent particulièrement exposés. Ceux dont le modèle économique repose exclusivement sur le cold calling, et qui opéraient avec des pratiques juridiques floues, pourraient être balayés. Chraïbi souligne néanmoins que cette situation pourrait aussi être saisie comme une opportunité. Une opportunité pour accélérer la transformation du secteur au Maroc, renforcer sa résilience, et asseoir son développement sur des bases technologiques et éthiques solides, même si la France vient d’imposer un tournant douloureux.
Par ailleurs, le rôle croissant de l’intelligence artificielle dans la relation client représente un autre levier d’évolution. Chraïbi estime que l’IA constitue une piste de modernisation pour le Maroc, à condition de disposer des moyens nécessaires : investissements, infrastructures, compétences. Selon lui, pour que le Maroc puisse véritablement capitaliser sur l’essor de l’IA et compenser les pertes provoquées par la décision de la France, il faudra renforcer la formation, cartographier les risques structurels, stimuler les investissements technologiques, et accompagner les entreprises vers des solutions hybrides, où l’humain et l’intelligence artificielle coexistent intelligemment.