Dans les artères animées du Square Port Saïd, à Alger, les voix se font pressantes, les regards s’échangent furtivement, et les billets changent de main à un rythme soutenu. Ce lundi 21 avril 2024, le marché parallèle des devises a de nouveau vibré sous l’effet d’une hausse significative de l’euro, qui continue de s’éloigner du dinar algérien à une allure préoccupante. Affiché à 255 dinars à l’achat et 257 dinars à la vente, l’euro illustre cette flambée qui s’accélère après une courte période de repli, ayant duré deux jours. Cette tension ne tombe pas du ciel : elle s’inscrit dans une dynamique où l’économie informelle devient, pour une large frange de la population, un recours inévitable.
Dans ce théâtre à ciel ouvert, où les transactions se concluent discrètement mais massivement, le dollar américain suit également une courbe ascendante. Ce mardi, il s’échangeait à 233 dinars à l’achat et 237 dinars à la vente, confirmant une tendance parallèle à celle de la monnaie européenne. Plus spectaculaire encore, la livre sterling a franchi un nouveau palier : 305 dinars à l’achat, 310 à la vente. Cette monnaie, historiquement valorisée sur le marché noir, conserve sa réputation de devise “premium”. Quant au dollar canadien, sa relative stabilité – 158 dinars à l’achat et 162 dinars à la vente – tranche avec la frénésie ambiante, suggérant un flux d’échange plus ciblé, notamment parmi les Algériens ayant des attaches familiales ou universitaires au Canada.
Nouveau bond de l’euro face au dinar algérien : comment expliquer toutes ces hausses ?
La montée des devises étrangères sur le marché noir n’est pas le fruit du hasard. Plusieurs facteurs simultanés convergent pour en expliquer les causes. L’un des plus déterminants reste l’approche de la saison des grands pèlerinages, à commencer par le Hadj, qui mobilise chaque année des dizaines de milliers d’Algériens. Pour eux, se procurer des devises devient une urgence. Or, face à la difficulté d’accès aux devises dans les banques et la limitation des quotas officiels, le marché noir devient leur unique solution. Cette demande religieuse, à elle seule, suffit à faire pencher la balance.
Mais la pression ne vient pas uniquement des pèlerins. L’ensemble des citoyens ayant des besoins en devises – qu’il s’agisse de soins médicaux à l’étranger, d’envoi d’argent à des enfants en études, ou de voyages pour raisons personnelles – se heurte aux contraintes des circuits bancaires classiques. Les restrictions, les longues procédures et les plafonds fixés par la réglementation officielle poussent nombre d’Algériens à se rabattre sur des solutions informelles, plus réactives, mais aussi plus coûteuses. À cette demande croissante s’ajoute une raréfaction de l’offre sur les places de change parallèles, en raison d’une surveillance renforcée des autorités qui freine les flux entrants. Résultat : les devises deviennent plus précieuses, et leur prix explose.
Euro dinar algérien : qu’en est-il des taux officiels ?
Ce déséquilibre est accentué par le gouffre entre les taux officiels et ceux pratiqués sur le terrain. À titre de comparaison, la Banque d’Algérie affiche un euro à 150,74 dinars, soit plus de 100 dinars de moins que sur le marché parallèle. Le dollar américain est coté à 132,43 dinars, la livre sterling à 173,93 dinars, et le dollar canadien à 95,60 dinars. Cette différence, aussi flagrante que persistante, montre combien le marché noir est devenu un indicateur officieux mais réaliste du rapport entre le dinar et les devises étrangères.
Cette situation engendre une économie de l’ombre dont l’impact va bien au-delà des seules opérations de change. Le commerce, les importations informelles, les services liés au voyage ou à l’éducation en pâtissent ou en tirent parti. Mais dans tous les cas, une chose demeure : tant que l’écart entre offre et demande perdure, et que les circuits officiels restent inaccessibles pour une majorité d’Algériens, le marché noir conservera sa place centrale. Les autorités ont, par le passé, évoqué la création de bureaux de change légaux, mais leur absence sur le terrain rend difficile tout espoir de régulation.
En l’absence de solutions concrètes et rapides, cette spirale pourrait se poursuivre encore longtemps. L’euro, le dollar ou la livre sterling ne cessent de prendre de l’altitude, tandis que le dinar s’enfonce davantage, victime d’un système économique où l’informel devient l’unique boussole pour les citoyens en quête de devises. Le Square Port Saïd, symbole vivant de cette réalité, continuera d’être le théâtre de ces échanges silencieux mais ô combien révélateurs d’un mal profond.
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